Vienne et l'Autriche

 

Freud arrive à Vienne à l'âge de quatre ans. Il va y passer 78 années de sa vie. Pourtant, on le sent saisi d'une étrange ambivalence au sujet de cette ville. Il ne cesse en effet de la dénoncer pour son antisémitisme et son hypocrisie, mais dans le même temps, la ville le fascine et le retient.La vie et l’œuvre de Freud sont baignées dans le grand mouvement de dislocation de l'empire d'Autriche.

L'effervescence des créations dans le domaine de l'art témoigne en effet, à la fin du XIXe siècle, du besoin d'expression d'une détresse culturelle fondamentale, quelquefois combattue par une rigidité des relations sociales. C'est dans ce contexte corseté, ce terreau dépressif cherchant à se dire, que Freud effectue sa découverte. La vie de Freud, de sa naissance à son exil, s'inscrit dans une des périodes les plus tourmentées de l'Autriche. Voici quelques points de repère.

L'Autriche-Hongrie (1867-1918)
et la première République autrichienne

Après les défaites de Solférino (24 juin 1859) et de Sadowa (3 juillet 1866 ‒ Freud a alors 10 ans) , l'Autriche abandonne ses prétentions italiennes et allemandes et oriente ses intérêts vers les Balkans où, toutefois, elle se heurtera à la Russie.

En 1867 la monarchie autrichienne après la signature du Compromis austro-hongrois (1867) prend une nouvelle forme constitutionnelle : l'Autriche-Hongrie. La Hongrie est reconnue comme indépendante, mais des liens très forts l'unissent à l'Autriche (ministères communs) et de nombreux Hongrois prennent une part importante dans l'administration et l'armée de l'empire. Cependant, cette organisation mécontenta tout à la fois la bureaucratie allemande et les nationalistes radicaux hongrois.

Par ailleurs la question tchèque, elle, reste pendante dans ce dispositif puisque François-Joseph qui règne de 1848 à 1916 refuse d'envisager un compromis austro-bohémien. La question des nationalités pèsera jusqu'à la fin de l'Empire

Le règne de François-Joseph passe, avec le recul du temps, pour une Belle Époque, puisque, en dehors des conséquences du krach boursier de 1873, l'économie a été prospère. La grande industrie se concentre à Vienne, à Prague et en Bohème. Les pays tchèques développent un commerce important avec l'orient musulman (textiles).

Les mines de charbon (de Bohème et de Silésie) favorisèrent le développement de l'industrie lourde (Škoda fabrique le matériel de l'armée austro-hongroise). Depuis 1850, le chemin de fer relie les divers territoires de l'empire à Vienne et Budapest, de grands travaux (tunnels) et les constructions mécaniques (locomotives) se développent.

Par contre, l'agriculture d'Europe centrale ne cessa de connaître des difficultés. Une nécessaire réforme agraire n'est pas appliquée (moins de 1 p. 100 des propriétaires possèdent 40 p. 100 des terrains) ce qui confine l'exploitation paysanne familiale à des dimensions minuscules, non viables. La concentration capitaliste tendra de plus à prolétariser les paysans employés par des grandes exploitations modernisées et mécanisées.

Vienne a une riche vie théâtrale (comédie, opéra, opérette) et musicale (Brahms, Bruckner, Mahler). C'est une des villes les plus agréables de l'Europe dont l'urbanisme des années 1860-1870 a donné naissance aux monuments de la Ringstrasse (Parlement, Opéra, Burgtheater) ainsi qu'à nombre d'immeubles de rapport élégants et confortables.

Vienne est un l'immense marché de consommation. La capitale joue un rôle dirigeant dans la mode, la vie culturelle et rivalise avec Paris. Le brillant essor des capitales (Vienne, mais aussi Budapest et Prague) ne touche qu'une population d'aristocrates ou de bourgeois promus par le commerce ou l'armée qui, ainsi, peuvent rejoindre l'aristocratie

l'opéra

Le Ring

Schönbrunn

Cependant, cette vie culturelle ne traduit pas une réelle évolution politique. L'Autriche-Hongrie demeure donc un État rétif à toute réforme, s'appuyant sur la dynastie, l'armée, la bureaucratie et l'Église catholique. La politique extérieure se révèle génératrice de tensions de plus en plus importantes en Europe centrale et dans les Balkans qui conduiront, pour une part, au déclenchement du conflit de 1914.

En 1878, l'Autriche-Hongrie occupe la Bosnie-Herzégovine peuplée de Serbes et de Slaves convertis à l'islam. Pour tenter de résoudre les déséquilibres des nationalités ainsi créés, l'héritier du trône, l'archiduc François-Ferdinand, pense à la création d'un État yougoslave autonome, ce qui ne satisfaisait ni les Hongrois ni les Serbes.

Sarajevo

La situation s'aggrave en 1908 lorsque l'Autriche-Hongrie annexe la Bosnie-Herzégovine, tout l'équilibre européen est compromis. La Serbie se considère alors menacée et renforce ses alliances avec la Russie et la France. Cette question fut finalement la cause immédiate de la Première Guerre mondiale: après l'assassinat de l'archiduc François-Ferdinand le 28 juin 1914 à Sarajevo (Bosnie), l'Autriche-Hongrie s'estima en droit de réclamer des réparations et de déclencher une guerre " limitée " contre la Serbie.

Ainsi, le long règne de François-Joseph, se termine-t-il par une catastrophe où le monde entier est entraîné. L'Autriche, en tant que grande puissance, ou même puissance régionale, n'existera plus.

La première République autrichienne.

Les traités de 1919, créent un État artificiel qui ne pouvait trouver ni son équilibre politique ni son équilibre économique.

La République autrichienne est alors composée de pays alpins, assez pauvres, voués à l'agriculture et de Vienne, centre industriel et administratif beaucoup trop important pour le nouvel état.

Politiquement, il existe un clivage radical entre Vienne " la rouge ", ralliée au parti social-démocrate et le reste du pays acquis au parti populiste (très catholique et conservateur). La haine de la monarchie des Habsbourg unit cependant ces deux partis dans l'adoption d'une constitution de type fédéral.

Le gouvernement fédéral est détenu par les populistes (Mgr Seipel, chancelier de 1922 à 1929) qui appliquent une politique économique très dure à l'encontre de la population (libéralisme économique marqué par le monétarisme et la réduction drastique du nombre de fonctionnaires).

Cela conduit à des émeutes à Vienne en juillet 1927, aux allures de guerre civile. Le Parti populiste s'appuie alors sur l'extrême droite et les milices fascistes (Heimwehren), tandis que le parti social-démocrate est mis hors la loi.

La crise économique de 1929 développe à ce moment ses plus cruels effets. Chômage et misère sont le lot de Vienne et du pays. La situation économique ne peut s'améliorer dans la mesure où, comme sanction de la première guerre mondiale, la création d'une entente douanière austro-allemande (1931) se heurte au veto de la France et de l'Angleterre. La propagande nazie va y trouver un terrain d'élection.

Décembre 1936, lettre de Freud à Marie Bonaparte : Notre ministre de l'Éducation vient d'annoncer officiellement que l'époque des travaux scientifiques sans directives comme au temps de l'ère libérale, est révolue ; à partir d'à présent, la science doit travailler en accord avec le Weltanschauung chrétien et allemand. Voilà qui nous promet du plaisir ! Tout comme dans cette chère Allemagne !

Mars 1937, lettre de Freud à Ernest Jones : La situation politique semble devenir toujours plus sombre. Il n'a y probablement pas moyen d'endiguer l'invasion nazie et son cortège de malheurs pour la psychanalyse comme pour le reste.[...] Si notre ville tombe, les barbares prussiens se déverseront sur l'Europe. Hélas, le seul protecteur que nous ayons eu jusqu'à présent, Mussolini, semble laisser les mains libres à l'Allemagne.


L'état autrichien va tenter de résister aux nazis, et de défendre l'indépendance de l'Autriche, en prenant cependant une pente de plus en plus dictatoriale. Dollfuss, chancelier en 1932, suspend le régime parlementaire en 1933 et emprisonne les chefs socialistes en 1934. Cette même année, il est assassiné par les nazis. Son successeur, Schuschnigg, essaie encore de gouverner contre les nazis et les socialistes de qui il tente de se rapprocher, mais il est trop tard, en 1938 lorsque Hitler lui impose de démissionner. Paris et Londres ne lui viennent d'aucune manière en aide et Mussolini qui, un temps, aurait voulu s'opposer à la main-mise d'Hitler sur l'Autriche n'est plus en mesure de le faire.

Dollfuss défend l'Autriche

'

L'invasion nazie de l'Autriche a lieu le 11 mars 1938. Le 14, Hitler entre à Vienne. 200 000 personnes l'attendent. Dès le lendemain, l'Autriche est annexée au Reich

Sur le chemin de l'exil

4 juin 1938. Freud, contrairement à ses souhaits va devoir partir en exil. Il y sera déterminé par la détention d'une journée de sa fille Anna à la Gestapo. La Princesse Bonaparte contribuera au financement du départ de Freud, de son épouse, d'Anna et deux employées de maison. Il s'agissait en somme d'une rançon versée aux nazis — qui par ailleurs exigent le retour de Suisse des Gesammelte Schriften pour les brûler... et ont, bien entendu saisi les avoirs de Freud.

Passage à Paris

Après la guerre, l'Autriche occupée par les forces alliées voit son indépendance proclamée en 1955. Avant d'adhérer à l'Union Européenne, elle gardera une neutralité entre les blocs rivaux de la guerre froide. Diplomates et... agents spéciaux (sans compter romanciers et cinéastes) apprécieront cet espace original au cœur de la Mittel Europa !


Le Belvédère où fut signée l'indépendance de l'Autriche le 15 mai 1955
après l'occupation par les puissances alliées



   
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