Le transfert |
Posons d’emblée que le concept de transfert s’inscrit
dans le corpus théorique de la psychanalyse d’une manière
radicale puisque selon Freud il constitue tout à la fois le
principal agent de la cure et... le principal obstacle à sa
conduite. «…nous arrivons ici au point où le transfert apparaît comme, à proprement parler, une source de fiction. Dans le transfert, le sujet fabrique, construit quelque chose. Et dès lors, il n’est pas possible, me semble-t-il, de ne pas intégrer tout de suite à la fonction du transfert le terme de fiction. D’abord quelle est la nature de cette fiction ? D’autre part qu’en est l’objet ? Et s’il s’agit de fiction, qu’est-ce qu’on feint ? Et puisqu’il s’agit de feindre, pour qui ? » (4) « En d’autres termes, il me paraît
impossible d’éliminer du phénomène du transfert le fait
qu’il se manifeste dans le rapport à quelqu’un à qui l’on
parle. Il est à noter que la conception du
transfert n’est pas univoque – comme le montre l’histoire de
la psychanalyse –, elle dépend du cadre de références
théoriques où on prétend l’inscrire. Le transfert peut
d’abord être compris en référence à l’ordre imaginaire
: Ultérieurement, c’est en référence à l’ordre symbolique que le transfert peut être conçu : « Chaque fois qu’un homme parle à un autre d’une façon authentique et pleine, il y a, au sens propre, transfert, transfert symbolique » ( 7). Enfin, c’est en questionnant le rapport du savoir et de la vérité ayant affaire avec le «réel » que le transfert peut se concevoir : « La psychanalyse instaure sa finitude, non par le silence, mais selon sa pratique même, c’est-à-dire en répondant à cette question : à quoi ce savoir nous mène-t-il ? Où nous conduit-il ? C’est pour y répondre que Lacan a nommé ce ‘lieu’ du nom d’une dimension : le réel. [...] La seule façon de situer la psychanalyse au regard de la science et non de la religion, est de poser par le symbolique la limite du symbolique : le réel »(8). |
(1) Laplanche, Pontalis, « Transfert », Vocabulaire de la psychanalyse, P.U.F. (2) Lacan, J, Le Séminaire, Livre VIII. (3) Julien, Ph, Le retour à Freud de Jacques Lacan, coll Littoral, éd. Eres, 1985, pp 99-128 (4) Lacan, J, Le Séminaire, livre VIII, le Seuil, Paris, 1991, p 207
(5) Lacan, op. cit., p. 208
(6) Lacan, J, Le séminaire, Livre I, les écrits techniques de Freud, Paris, Seuil, 1975, p. 127
(7) Lacan, J, op. cit., p. 127
(8) Julien, Ph, op. cité, p. 143
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La conception imaginaire du transfert est celle qui
est souvent retenue dans les discours sociaux ou pédagogiques
en activant le modèle très spontané de l’identification par la
similitude « concrète » de traits formels. « la question posée à l’Autre de ce qu’il peut nous donner et de ce qu’il a à nous répondre, que se rattache l’amour comme tel. Non pas que l’amour soit identique à chacune des demandes dont nous l’assaillons, mais il se situe au delà de cette demande, en tant que l’Autre peut nous répondre ou non comme dernière présence. » (17) |
(9) Lacan, J, Le Séminaire VIII, p. 208 (10) « on tente d’imposer au sujet que, son besoin étant satisfait, il n’a plus qu’à être content » Lacan, J, Le séminaire, livre VIII, p.240 (11) La prétention trop souvent affichée de « dire tout haut pour lui » ce que l’autre ignore ou se trouve empêché de dire est à cet égard tout à fait suspecte de totalitarisme. En effet, la « révélation » du refoulé n’a de valeur que celle du mode de relation qui la conditionne, sinon c’est en position de maître jouisseur que se situe alors le « dénonciateur » qui ne laisse pas à l’autre la possibilité de feindre. Il faut se souvenir que si Noé – ivre – s’est dévêtu dans sa tente, c’est bien de l’avoir vu et de l’avoir dit qui a valu à un de ses fils la malédiction paternelle. (12) Souvent même d’un seul des parents. Au nom de quoi ne se laisse-t-on pas aller à juger de la pertinence d’une psychothérapie par un homme ou une femme ?... (13) Freud, S, Cinq psychanalyses, P.U.F, Paris. (14) La feinte du transfert est aussi erreur sur l’objet. « Socrate rétorque à Alcibiade [qui vient de lui déclarer publiquement son amour] Tout ce que tu viens de faire là (...) c’est pour Agathon. Ton désir est plus secret que tout le dévoilement auquel tu viens de te livrer. Il vise maintenant encore un autre. Et cet autre, je te le désigne, c’est Agathon ». Lacan, Sém. VIII, p. 210 (15) Imaginaire ne signifie pas que certaines scènes n'aient pas eu lieu : ainsi le père de Dora a effectivement Mme K. pour maîtresse. L'imaginaire ici évoqué renvoie au fait que d'emblée la relation humaine à l'autre est celle à l' alter ego. C'est en tant qu'il épouse toujours la querelle de l'autre comme étant la sienne que l'homme se situe dans l'imaginaire. (16) « Il est certain que se coltiner la misère, comme vous dites, c’est entrer dans le discours qui la conditionne, ne serait-ce qu’au titre d’y protester » : Lacan, J, Télévision, Seuil, 1974, p 25 (17) Lacan, J. Le Séminaire VIII, p. 202-3
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Nous serions de ce point de vue dans le registre
purement symbolique, mais cet Autre n’est appréhendé que du
point de vue de l’objet (18), un objet devant quoi nous
défaillons tandis que lui est survalorisé – voir Alcibiade se
demandant ce que Socrate "contient" sous sa rude écorce qui le
rend si désirable. Une certaine abjection du sujet s’en suit
que contre-balance cependant le fait que cet objet fait
de nous autre chose qu’un sujet soumis au glissement
infini du signifiant(19). (*)
Lacan évoque ici la formalisation qu'il a donnée du "discours
de l'analyste". Gilles
HERLÉDAN
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(18) « L’Autre n’est plus alors du tout notre égal [...] mais quelque chose qui en représente, à proprement parler une déchéance - je veux dire, quelque chose qui est de la nature de l’objet. Ce dont il s’agit dans le désir, c’est d’un objet, non d’un sujet. C’est en ce point que gît ce que l’on peut appeler le commandement épouvantable du dieu de l’amour. Ce commandement est justement de faire de l’objet qu’il nous désigne quelque chose qui, premièrement est un objet, et, deuxièmement, un objet devant quoi nous défaillons, nous vacillons, nous disparaissons comme sujet. Car cette déchéance, cette dépréciation, c’est nous, comme sujet, qui l’encaissons. » Lacan, J. Séminaire VIII, p. 203 (19) Lacan, J. Séminaire VIII, p. 203 (20) Freud en appelle à l’autorité du médecin pour instaurer le transfert (cf. Écrits techniques) (21) Lacan, J. Le Séminaire, Livre XX. Encore, p. 84 (22) Lacan, J. op. cit., p. 84 (23) Lacan, J. op. cit., p. 84 -5 |