Les quatre discours |
Freud dans Malaise dans la civilisation, nous montre que les institutions des sociétés, la manière dont les hommes se gouvernent, établissent des lois, dirigent leurs échanges – au premier rang desquels, comme le montrent les anthropologues, figurent ceux qui déterminent l'alliance et la filiation – ne peuvent aboutir à un résultat pleinement satisfaisant, malgré les sacrifices pulsionnels exigés. Même la sécurité, la permanence de la vie, n'est garantie que dans des limites étroites et au prix d'efforts constants. Les satisfactions libidinales autorisées sont toujours marquées d'inaccomplissement. La logique du signifiant, mise en évidence par Lacan, permet de concevoir que ce Malaise n'est pas la conséquence d'une sorte d'imperfection, d'immaturité des hommes, qu'un surcroît de civilisation, d'éducation, de police, pourrait réduire. Au contraire, cette souffrance de l'homme est liée à ce qui le cause comme sujet.
La pacification symbolique dont parle Lacan (1) vient tempérer ce que le symbolique crée lui-même. Instituant le manque et la séparation, l'ordre symbolique permet aussi de les contenir dans un sens qui, cependant, ne tient que par le jeu d'un certain nombre de conditions et de règles que toute société doit promouvoir (avec ses manières singulières) pour que le sujet advienne. Cette opération n'est toutefois jamais parfaite : premièrement parce que dans la mesure où le mot n'étant pas la chose, toute représentation demeure arbitraire et inadéquate (par exemple ce que j'ai n'est jamais ce que j'ai désiré) ; deuxièmement, parce que la pulsion excède le symbolique par ce qu'elle a trait au Réel. Les objets et les buts que la civilisation lui désigne pour se réaliser sont toujours des substituts et de plus on peut dire que la poussée pulsionnelle est inconditionnelle, ne dépend pas de son objet. Elle se différencie ainsi radicalement de l'instinct qui, lui, vise un objet déterminé. Ainsi, la vie sociale ne peut être qu'organisée autour du manque et des substituts proposés. Les institutions les plus perfectionnées de la culture sont donc, elles-mêmes, frappées d'incomplétude, voire de "semblant". Peut-on cependant concevoir l'existence sociale sans institutions ? Le "malaise dans la civilisation" s'origine ici. On ne
peut se passer des institutions et de leurs contraintes (2), dont le
paradigme est oedipienne. Ce qu'elles voilent de vérité fait cependant
retour comme manque à savoir. La théorie psychanalytique – au titre de
ce qu'elle sait de la condition du sujet parlant – peut-elle
s'intéresser au lien social dans lequel tout sujet se trouve pris ? Il
nous semble que la réponse est positive. Quelle clinique peut s'en fonder ? Ce n'est
pas sans risque, y compris celui de réduire la psychanalyse à une sorte
de sociologie plus ou moins mâtinée de psychologie.
"Il est certain que
se coltiner
la misère du monde (...) c'est entrer dans le discours qui la
conditionne,
ne serait-ce qu'au titre d'y protester." (3)
Cependant, la psychanalyse doit énoncer ce
que son travail lui permet de connaître. Il ne s'agit pas pour elle de
prétendre "réparer" le monde mais de tenter de cerner, avec des
concepts fondés en raison à partir de l'expérience clinique, ce qui
peut être dit qui aurait trait – autant que faire se peut – avec ce que
le langage impose à l'Homme comme condition. Et comment il peut espérer
y faire face.
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(1) J. Lacan : l'agressivité en psychanalyse in Écrits. Le Seuil, 1966
(2) Contrairement aux suppositions des
théoriciens de l'anti-oedipe qui ne saisissaient pas la fonction
(3) J. Lacan, Télévision, p.25, Le Seuil, 1974 |
C'est dans la reprise du propos de Lacan
dans l'Étourdit que nous pouvons trouver au mieux l'expression de
ce qui ressortit de la structure :
"Qu'on
dise reste oublié derrière ce qui se dit dans ce qui s'entend.
Cet énoncé qui paraît d'assertion pour se produire dans une forme universelle, est de fait modal, existentiel comme tel : le subjonctif dont se module son sujet, en témoignant." (4)
Se reprend ici l'orientation structurale où
s'énonce la condition du "parlêtre" et se marquent
les conséquences de ce que le langage n'est pas un codage, mais
un système de signifiants dont l'homme ne se fait pas maître.
La prise de l'homme dans le langage pourrait
cependant apparaître comme un point de vérité si l'on admettait comme
certains psychanalystes – dans la fulgurance de l'interprétation ou du
dévoilement – qu'il y a : "les mots pour le dire". Or,
justement, dans son article Position de l'inconscient (Écrits,
p840), Lacan insiste :
"Prenons pour origine
cette donnée
qu'aucun sujet n'a de raison d'apparaître dans le réel, sauf
à ce qu'il y existe des êtres parlants.[...]. Un sujet ne
s'y impose que de ce qu'il y ait dans le monde des signifiants qui ne
veulent
rien dire et qui sont à déchiffrer"
Tâche à laquelle il est commun de se dérober. C'est de son refus que se soutiennent, par exemple, les démarches pédagogiques ou politiques qui font l'hypothèse du juste sens – si ce n'est du "bon" ! – dans le langage et les institutions.
Le positivisme progressiste – humaniste –
qui conduit à ces positions de "divertissement", selon le mot de
Pascal, est certes sympathique dans ses premières intentions, pourtant
à cause de ce qu'il dissimule de vérité, on ne saurait y
souscrire sans autre examen. Vérité qui fait retour dans la résistance
au changement ou à la guérison. Point n'est ici besoin de stigmatiser
une incapacité constitutionnelle ou sociale(5) ou de "psychologiser"
quant à l'immaturité du client ; comme le disait Lacan : "la résistance vient de l'analyste"(6).
En effet, c'est toujours d'une prise
singulière dans le langage – chez le praticien – que s'origine la
résistance.
Si Laplace affirmait qu'il n'avait plus
besoin de Dieu dans ses équations, le praticien aurait par contre
vanité à croire pouvoir se dispenser d'inscrire dans son travail la
place du Réel : ce que le langage dans sa structure même laisse
choir de silence, d'irreprésentable. C'est bien ce réel que le
thérapeute et le patient s'efforceraient, en ce cas, de méconnaître par
l'artifice partagé de la résistance(7).
Comment mieux, en effet, mettre à distance
la question du réel que par l'assurance que le "dernier mot" à
trouver existe bien et n'est caché que par insuffisance du praticien ou
malignité du patient. De modernes mythologies proposent d'en revenir,
faute d'accès à ce dernier mot, à l'évanescence de l'indicible
et de l'harmonie des sphères que nous proposent les mages, gourous et
autres astrologues. Il n'y a pas, hélas, à craindre pour eux une
restriction du marché.
Cependant l'objet de la rencontre analytique
n'est justement pas l'indicible – encore que des auteurs à la suite
de Ferenczi aient cru pouvoir y tendre par le biais de leurs
interventions non-verbales –, mais bien l'émergence de signifiants au
lieu du réel présentifié dans un dispositif : la cure.
"c'est le réel qui
permet de dénouer effectivement ce dont le symptôme consiste, à savoir
un noeud de signifiants"(8).
Il faut donc être en mesure de se porter du côté du signifiant – dans l'énonciation– et non du sens – dans l'énoncé.
L'entreprise n'est pas aisée, moins par
l'effet de quelque "profondeur d'enfouissement" – métaphore
archéologique trop prompte à se présenter pour ne pas être duperie –
que par nécessité de structure : ce qui a été noué ne peut être dénoué
qu'à grand peine dans la mesure où cette liaison a pour but d'éviter de
considérer le réel.
Freud l'avait proposé à notre attention en recherchant ce qui mettait limite à la conclusion des cures et qu'il avait pointé du terme de "roc de la castration". Bout de Réel sur quoi le langage se dérobe dans sa fonction de donner du sens (même s'il permet de mettre de l'ordre, tel que celui opéré par la distribution de la sexuation, ou d'accéder à un certain savoir). Le sexe, en effet, prête bien à montrer qu'il n'a pas de sens, mais qu'il est chiffre. C'est pour rendre compte de cette nécessité
du traitement imparfait du réel par l'ordre symbolique que Lacan
va proposer le modèle des discours.
Qu'est-ce qui, et comment, cerne le Réel
dans les différents modes de relations des hommes entre eux ?
La force du modèle lacanien sera de
rechercher des configurations minimales, des combinatoires d'un petit
nombre d'éléments pour formaliser, au delà des apparences protéiformes
des relations empiriques, une logique du lien social.
LES QUATRE DISCOURS Ce modèle vise à formaliser la nature
du lien social entendu comme relation fondée par l'instrument du
langage.
Conformément à ce qui a été
avancé plus haut, cette approche ne se fait pas sur le versant du
sens, mais du point de vue d'une combinatoire d'éléments
qui en prenant quatre positions mutuelles définissent quatre
modes d'énonciation :
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(4) J. Lacan, "L'Étourdit" in Scilicet n° 4, p. 5, le Seuil, Paris, 1973
(5) typologies diverses des "conditions"
sociales ou culturelles ou même retour aux (6) J. Lacan, Le séminaire, Livre 1 "les écrits techniques de Freud"
(7) Sans aucun doute ce que certains prétendent théoriser sous le vocable "d'alliance thérapeutique" !
(8) J. Lacan, Télévision, p 22, Seuil |
Ces quatre discours ne sont pas à considérer
du point de vue de l'énoncé et résistent ainsi à toute typification :
par exemple, le discours de l'hystérique ne fait pas l'inventaire de ce
que disent les hystériques – comme une sémiologie qui épinglerait(9)
leurs "caractéristiques essentielles". Le "discours de l'hystérique"
vise à montrer comment s'effectue le sujet dans une
constellation particulière dont l'hystérie pathologique n'est
d'ailleurs qu'une singularité construite à la mesure de circonstances
particulières et des thématiques variées au gré des conditions
historiques et des conjonctures sociales diverses, lesquelles ne
manquent certes pas d'avoir leur importance quant aux modalités
d'expression de la structure, mais ne la définissent pas.
Les mathèmes des discours sont bâtis à
partir d'éléments qui sont apparus dans la recherche de Lacan pendant
plusieurs années, toutes celles consacrées à l'étude des effets de
l'ordre symbolique sur l'Homme, jusqu'à la butée de plus en plus
insistante sur le Réel. On y trouve donc les différents "S" qui
représentent des signifiants particuliers, le $ ("S barré") qui
représente le Sujet marqué du manque et le "petit a" qui représente non
pas un signifiant mais un objet (objet cause du désir).
Ainsi les quatre éléments constitutifs de
tout discours sont :
Dans la perspective de Lacan, cet objet joue
cependant un rôle capital puisque c'est autour de lui que tourne la
représentation que "$" imagine de lui-même pour obtenir quelque
consistance, ce qui est nommé fantasme : "$<>a" où le poinçon
central désigne toutes les modalités possibles d'implication de "$" par
rapport à "(a)".
Les éléments, évoqués ci-dessus, sont
constitutifs de tout discours et peuvent occuper quatre places
permutantes :
que relient deux fonctions situées de
part et d'autre d'une barre qui a la valeur de celle de l'algorithme
saussurien
(S/s) :
En suivant la proposition de Lacan, on peut
donner dans un "mathème"(11) la matrice générale de tout discours où
les éléments s'articulent autour d'une "mise au travail" effectuée par
l'Agent et d'une "impuissance" qui sépare le produit du discours de la
vérité.
AGENT ==> AUTRE Sous la barre, ce qui est insu, mais est
indispensable
à l'opération et concerne sa vérité. Le plus
de jouir (produit) est cependant incommensurable avec cette vérité.
En somme la jouissance est "inavouable", mais existe : ce qui ne peut
être
ignoré du point de vue éthique et doit trouver à se
dire de quelque façon.
Au dessus de la barre, se trouve ce qui est
appréhendable plus empiriquement, puisqu'il s'agit de ce que l'agent
fait en ignorant ce qui est sous la barre et se révèle être la cause
comme la jouissance de son acte.
Cette forme générale permet plusieurs
dispositions par pure substitution de places des éléments
constitutifs. Leur point d'ordonnancement sera relatif à l'élément
mis en place d'agent.
Les discours sont des formes logiques mais
aussi
des dispositifs qui opèrent un certain traitement du réel.
Des effets en sont tangibles, particulièrement dans la "civilisation"
qui apparaît comme le lieu des liens sociaux effectués.
Le discours du maître :
S1 ==> S2 C'est à partir de lui que se déclinent les Quatre Discours
proposés par Lacan . Ce discours est la conséquence la plus immédiate
du fait de structure selon lequel " un signifiant, c'est ce qui
représente le sujet pour un autre signifiant ". Le signifiant
maître est repérable dans la cure analytique, comme une formule, un
nom, voire quelques lettres. Dans le discours du maître il apparaît
comme ce qui nomme et donc institue, valide, droit de cité. Chaque fois
que le S1 s'applique au S2 – tout le "trésor" des signifiants
disponible –, ce champ est réorganisé. Il y a donc constitution d'un
ordre et aussi de ce qui est exclu de cet ordre. Simplement, on s'en
rend compte en notant que des mots sont "interdits" : gros mots...
blasphèmes... injures... offenses. On sait aussi que ce qui est
réprouvé, c'est de ne pas "tenir parole", de se parjurer. Le discours de l'hystérique est conditionné par
celui du maître. Il le renverse en quelque sorte. À celui qui prétend
dire le Tout et le Vrai est posée une question qui se décline sous
diverses formes : quel est ton désir de tenir ce discours ? Pour quel
objet me tiens-tu en me l'adressant ? Que dois-je te répondre ? Quelle
est la part de vérité dans ce que tu dis ?
$ ==> S1 En mettant au travail le signifiant maître l'hystérique ne
contribue pas peu à la marche de l'histoire. À tout le moins, celle de
la psychanalyse qui a pu naître de ce que son discours ait été entendu
d'une autre oreille : imprévue. Le discours de L'Université a pour agent le savoir qui s'applique à un objet
d'étude. Celui-ci est élevé à la hauteur d'objet digne de connaissance
ce qui tend à restreindre le champ d'exploration que le savoir se donne
: la tentation peut être de n'étudier que... ce qui est déjà connu ! La
tendance à la "glose" en est une illustration. S2 ==> a
Notons ici cependant,
qu'il ne s'agit pas de mettre en cause l'activité scientifique
véritable, la recherche, mais le "scientisme" qui est une idéologie par
quoi l'on prétend donner à la science un statut "naturel" et
s'appliquant à tout objet en négligeant de considérer ce qui la
conditionne. Ainsi, chacun serait contraint de n'avoir d'autre
possibilité que d'adhérer à ce discours comme si sa contestation
revenait à méconnaître les découvertes de la science véritable. Les
"sciences" du soin, de l'éducation, du gouvernement, de l'économie, ne
cessent d'user de cette pression pour s'imposer avec force, tant auprès
su public non averti, qu'hélas, parmi les acteurs impliqués
dans ces secteurs.
Le discours de l'analyste se
distingue de tous les autres en ce que son agent n'est pas un
signifiant mais "l'objet a" qui présentifie le réel.
Dans ce dispositif, la notion de
"communication" ou de "relations humaines" – aujourd'hui promue au rang
de nécessité pour expliquer et régler la souffrance humaine – se trouve
singulièrement mise en cause... La caricature qui montre
l'analyste absent de la séance, ou endormi, en pressent la dimension
scandaleuse – il n'y a personne ! On n'est pas là pour
"bavarder". Ce qui est cependant ignoré, c'est qu'il y quelque-chose
qui est semblant de Réel. Ce presque rien, il est du devoir du
psychanalyste d'en maintenir la fonction énigmatique pour mettre le
sujet désirant ($) au travail. C'est pourquoi le psychanalyste ne
répond pas dans les termes attendus du savoir, du conseil, de la
prescription ou de la consolation.
a ==> $ Le sujet n'est cependant pas sans en savoir quelque-chose.
S'il n'en sait pas Tout, il n'en sait pas Rien. Mais
c'est un savoir "insu", c'est celui qui l'affecte comme "formations de
l'inconscient" : rêves, lapsus, actes manqués et surtout – ce pour quoi
il vient en analyse – symptômes. Par un progressif épuisement du sens
de ces formations – à quoi s'arrêtent les psychothérapies, si elle ne
viennent pas en déverser en surplus ! – le travail de l'analyse
s'oriente vers l'énonciation de ce qui a produit le sujet par un nouage
d'un signifiant à un bout de réel (l'objet a). Cela tient à la part de
hasard qui gouverne toute vie.
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(9) Épingler... terme bien spécifique d'un
moment historique qui nous renvoie aux
(10) On trouvera des renseignements précieux et fort accessibles sur ces questions chez : J. Dor, Introduction à la lecture de Lacan, Denoël, 1985
(11) Le mot mathème apparut pour la première fois dans le discours de Lacan le 4 novembre 1971. Forgé à partir du mythème de Claude Lévi-Strauss et du mot grec mathêma (connaissance), il n'appartenait pas au champ de la mathématique. Était posée la question de la possibilité de transmettre un travail qui ``a l'air de ne pas pouvoir s'enseigner''. C'est pour répondre à cette question que Lacan inventa, [...], le terme de mathème. (Roudinesco)
(12) S. Leclaire. Psychanalyser, démasquer le réel. Points |
La psychanalyse se fait-elle sociologie par cette approche des
discours ? Le psychanalyste pourtant ne saurait ignorer
la prévalence de tel ou tel discours dans le bavardage du monde. La
demande qu'on lui adresse en porte forcément la marque. Elle n'est pas
née hors de l'histoire et on sait qu'elle ne peut pas s'exercer dans
certaines sociétés – comme les théocratiques ou les dictatoriales. Elle
ne saurait pourtant contribuer, non plus, au maintien de l'ordre où
elle est possible.
C'est à cette condition – de renoncement à sa propre définition – que l'Amérique avait accepté d'embrasser la psychanalyse pour mieux l'étouffer. Cette tentation est permanente. L'intervention éducative ou médico-sociale, qui se réfère si souvent dans ses formations et institutions à la psychanalyse, en représente bien, nous semble-t-il les termes ambigus, champ tendu entre une intervention normative, réductrice des questions subjectives et politiques et une représentation idéale de son acte qui se veut éclairé, respectueux de dignité, de liberté du sujet.
Ce que la psychanalyse peut apporter là,
n'est certainement pas un apaisement des contradictions. Tout au
contraire, il lui appartient de maintenir la tension du champ où elle
appelée à se prononcer en identifiant ce qui lui est demandé – quel
peut être pour elle le tribut à payer – et ce qui doit être dit sous la
forme proprement inouïe d'une parole singulière..
En fait, ça tient à peu de chose, le petit espace qui fait que
"ça" ne collera pas, soit : qu'aucun discours ne se reconnaîtra assez
dans un autre pour s'y abîmer. On voit que notre société n'a guère
d'appétence pour cette dimension de l'écart, de la part faite à la
surprise. Tout au contraire, pressent les références à la gestion, la
normalisation, l'application du savoir – souvent défini comme celui des
"experts" –, qui génèrent une sorte de fétichisme de la prévision et de
l'évaluation, là où devrait se constater quelque-chose de l'ordre du
manque. La psychanalyse reste peut-être le discours,
qui à se tenir si près de (a), peut encore se soucier de la pulsion de
mort dans la civilisation, en dire au moins quelque chose – ne pas la
nier –, pour autant qu'on la comprend comme l'effet même de la
rencontre imparfaite du symbolique et du réel, que toute prise
signifiante et littérale échoue à réduire.
Porteur de cette éthique, le psychanalyste ne saurait être
d'un commerce trop mondain ! Sans doute est-ce ce que suggérait S.
Leclaire : Gilles Herlédan |
(13) Op. cit. p 38-39 |
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