Le nom seul de Paris avait un effet
magique pour Freud. Il écrit :« pendant bien des années, je ne
rêvais que de Paris, et le bonheur extrême que je ressentis en
posant pour la première fois le pied sur ses pavés me sembla
garantir la réalisation de mes autres désirs (1).
»
Pourtant, il se dit très rapidement désorienté dans cette
grande ville (une ville qui comprend deux douzaines de rues
semblables au Ring, mais deux fois aussi longues) dont
il décrit la vie trépidante. La foule se hâtant, la pluie et
la boue entraînent un sentiment dépressif chez Freud. Dans
toutes les lettres qu'il envoie de Paris, il décrit sa
solitude et sa nostalgie.
Dans ses écrits, les Français sont volontiers présentés comme
arrogants, inaccessibles. Il décrit avec peu d'aménité
les Parisiens. Freud ânonnait le français, et se mettait à
parler espagnol ou anglais dès qu'il le pouvait. Il lui faudra
un certain temps pour céder à l'action ensorcelante de la
capitale française.
Il envoie à sa fiancée Martha de longues descriptions de la
topographie de la ville. Il rend compte dans ses lettres des
visites qu'il fait aux principaux monuments de Paris et il se
dit particulièrement impressionné par Notre-Dame. Il devait
plus tard raconter que ce fut là son endroit favori, et c'est
précisément une photographie de la cathédrale qu'il ramènera
en souvenir de Paris
Pendant les six premières semaines de son séjour, il habite à
l’hôtel de la Paix, 5, impasse Royer Collard, située rue
Gay-Lussac, au cœur du Quartier-Latin. Il séjournera ensuite à
l’hôtel du Brésil, rue Le Goff. À titre d’anecdote, Freud,
notant que les rideaux de son lit étaient de couleur jaune,
procéda à une analyse chimique pour être sûr qu’ils ne
contenaient pas d’arsenic.
Freud séjourna à Paris du 13 octobre 1885 au 28 février 1886.
Charcot était alors à l’apogée de sa célébrité. Avant ou après
lui, nul n’a jamais dominé le monde de la neurologie à tel
point. Le fait d’avoir été son élève vous distinguait pour
toujours des autres médecins. La Salpêtrière était bien La
Mecque des neurologues.
En 1893, après la mort de Charcot, Freud disait : « dans son
rôle de professeur, Charcot était parfaitement séduisant.
Chacune de ses leçons, par sa construction, par sa
composition, était un petit chef-d’œuvre ; le style en était
parfait et les phrases impressionnaient l’auditoire et
trouvaient partout un écho ; la pensée de chacun restait tout
le jour imprégnée de ses démonstrations.(2) » Charcot reçu
très poliment le médecin viennois, mais sans s’occuper
particulièrement de lui jusqu’au jour où se produisit le fait
suivant : « j’entrai comme élève à La Salpêtrière, mais j’y
fus,au début, perdu parmi tous les élèves accourus de
l’étranger, donc peu considéré. Un jour, j’entendis Charcot
regretter que le traducteur allemand de ses leçons n’eût plus
donné signe de vie depuis la guerre. Il aimerait que quelqu’un
entreprît la traduction de ses Nouvelles leçons. Je
lui écrivis pour m’offrir à lui, je me souviens même que la
lettre contenait ce tour de phrase : je n’étais affecté que de
l’aphasie motrice, mais non pas de l’aphasie sensorielle du
français. Charcot m’agréa, m’introduisit dans son intimité et
depuis lors j’eus ma pleine part de tout ce qui avait lieu à
la clinique.(3) »
Il semble que Freud ne se soit pas senti très heureux à Paris,
au moins dans les premiers temps. Il songea sérieusement à
regagner Vienne après les deux premiers mois de son séjour.
Toutefois le travail que lui confia Charcot l’aida à
poursuivre son exil. À cette époque, Freud avait encore un
intérêt plus prononcé pour les recherches anatomiques que pour
les faits cliniques. Il tenta, au début, de les poursuivre
dans les laboratoires de La Salpêtrière, mais les conditions
de travail de laboratoire lui parurent de moins en moins
satisfaisantes, aussi annonce-t-il, le 3 décembre, sa décision
de renoncer à cette sorte de travail. Dès lors, il va presque
entièrement abandonner ses études microscopiques pour
devenir un pur clinicien.
Tout porte à croire que l’attrait violent que Charcot avait
fait naître en lui est responsable de son intérêt nouveau pour
la psychopathologie.
1
: La science des rêves, p. 148
2 : Gesammelte Werke, Vol I, p. 28
3 : Ma vie et la psychanalyse, p 17
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Charcot
La Salpêtrière
La Salpêtrière : les "cellules"
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