La
psychanalyse a rapidement été un objet d’approbation ou de
désapprobation, source d’inspiration pour les auteurs de
fictions romanesques ou d’essais. |
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L’invention
du cinématographe est contemporaine de celle de la
psychanalyse. Nous pourrions être séduits par l'idée d'une
représentabilité de l'inconscient freudien, d'autant plus
que les thèmes, les conduites du récit ou de la mise en
scène, les effets spéciaux, l'évolution des personnages,
semblent pouvoir relever d' une interprétation
psychanalytique. |
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La question se pose de la place et de la fonction de
la psychanalyse dans le champ des sciences humaines. Ces
dernières ont été inaugurées par la sociologie d’Auguste Comte
en continuité des approches du siècle des Lumières.
L’irruption de la découverte de l’inconscient a
incontestablement bouleversé le mode de représentation que
l’homme se fait de lui-même.
Là où la sociologie et les psychologies expérimentales traitaient de comportements objectivables ou dénombrables, la psychanalyse met en cause un sujet confronté à une perte radicale de connaissance sur lui-même et animé par un désir singulier. Dans le sillage de la sociologie, les sciences humaines prétendent à la science par l’emploi de méthodes statistiques. Freud opte pour l’emploi de la méthode clinique qui suppose des rencontres toujours uniques. Ainsi, le sociologue constituera un savoir sur « les femmes » par un dénombrement de caractéristiques communes, tandis que le psychanalyste choisira d’entendre les femmes « une par une ». Plus même, il entendra un sujet qui s'interroge sur ce qu’est la féminité pour ce qui le concerne. Ceci dit, les analystes sont eux-mêmes soumis à la prégnance des formes culturelles et de leurs achoppements, tandis que les « expérimentalistes » ne sont pas sans reconnaître les effets de l’inconscient dans les objets qu’ils mesurent. Mais ne pourrait-on concevoir qu’un des apports importants de la psychanalyse serait aujourd’hui de contribuer à ce que les sciences humaines interrogent la consistance de l’objet qui les fonderaient comme science ? |
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La psychanalyse interroge la nature du lien social,
ce qui le fonde et ce qui l'anime. Deux textes freudiens
fondamentaux font à cet égard référence, il s'agit de "Totem
et tabou" et de "Psychologie des foules et analyse du Moi".
Sous une forme mythique reprenant les théories anthropologiques de son époque, Freud évoque les liens entre Loi -interdiction de l'inceste- meurtre et intériorisation du père archaïque tout-puissant. Il définit la société comme la communauté des frères liés par le même sentiment de culpabilité qui donne lieu, par un renversement inconscient, aux plus hautes aspirations morales. Par voie de conséquence, tout groupe humain se trouve soumis à un double processus d'identification. D'une part, chaque individu tend à s'identifier au chef, posé comme figure idéale ; d'autre part, tous les membres partagent la même référence au chef, et trouvent là une base d'identification mutuelle qui les soude, ce qui s'avère généralement corrélatif d'une tendance à se constituer en s'opposant. Dans ce contexte, plus le groupe craint que ses liens ne se dissolvent ou que le chef soit trop faible, plus il tend à l'autarcie, à l'exclusion du supposé différent, au durcissement de son régime. On tend alors vers le régime totalitaire, soumis à une version archaïque de la tyrannie d'un père jouisseur et implacable, auquel le vœu inconscient de chacun est hélas capable, pour un temps, d'accorder du crédit. De
ce point de vue, on comprend mieux le pessimisme de Freud
qui désignait le gouvernement des hommes comme impossible.
L'ambivalence foncière des sujets ne peut jamais être
totalement prise en compte et maîtrisée par les processus
démocratiques rationnels. Cependant, comme le suggérait
Churchill, la démocratie est sans doute le pire des systèmes
(par son infinie complication) mais on n'en a pas trouvé de
meilleur au regard des valeurs de la civilisation. Une
véritable démocratie ne peut faire l'économie d'une gestion
de ses conflits internes, qu'elle doit inclure dans son
fonctionnement, et ne pas tomber dans leur déni, ce qui
conduit à la voir mortifère de l'utopie. |
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Jusque dans son dernier ouvrage, "L'homme
Moïse et le monothéisme" (1939), Freud s'est intéressé aux
fondements de l'histoire. En consacrant son dernier ouvrage
à celui qui est apparu comme messager de la loi divine et
comme un grand législateur, Freud interroge l'articulation
entre les bases du monothéisme et, à travers l'histoire du
peuple juif, celle de la culture humaine.
L'histoire apparaît organisée autour de la figure divine, comme une succession de tentatives de réponses à la question du père. Avec l'idée de Dieu unique, Moïse n'apportait en fait à son peuple rien de nouveau, mais ne faisait que ranimer un événement ancien remontant aux origines de tout groupement humain. Freud fait là référence au meurtre primordial du père. Plus généralement, Freud estime que l'écriture de l'histoire humaine n'échappe pas à des déterminations inconscientes qui, sous forme de retour du refoulé, marquent ou infléchissent le cours des événements. Toutefois, la psychanalyse éclaire surtout les modalités successives par lesquelles les hommes ont tendu au cours des temps à voiler et à découvrir la question de l'origine même de la civilisation. Cette origine reste liée pour Freud au meurtre du père et à l'instauration de l'interdiction de l'inceste, et il en rend compte dans les avatars du sentiment religieux.
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La psychanalyse ne se donne aucun droit de prononcer
des jugements esthétiques. Elle interroge l’œuvre d'art du
point de vue des déterminations inconscientes de l'artiste.
Dans "Un souvenir d'enfance de Léonard de Vinci", Freud repère
dans le tableau "L'enfance du Christ" à la fois les
caractéristiques de la relation de Léonard à sa mère, et la
figuration d'un objet lié à l'histoire libidinale de l'enfance
du peintre.
Ce type de déchiffrage psychobiographique retient aujourd'hui moins l'attention des psychanalystes. Toutefois, les concepts inventés par Jacques Lacan (catégorie de l'imaginaire et conception du regard comme objet cause du désir) renouvellent l'approche de l’œuvre picturale. Le tableau vaut moins par ce qu'il montre que par sa fonction de "piège à regard", où le sujet est appelé vers le saisissement d'un objet impossible. Perspective et transparence, notamment, prennent sens dans cette nouvelle approche.
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Voir : Texte intégral
La psychanalyse, dans les premiers temps
de son développement, a porté des critiques très dures
contre la morale sexuelle civilisée. Si en effet, c’est
l’attitude morale à l’égard de la sexualité qui est
responsable des névroses, l’éducation qui véhicule cette
morale se trouve en devenir l’agent direct de propagation.
Ainsi, la prévention des névroses serait aux mains de
l’éducateur, lequel pourrait subir l’influence de
l’enseignement de la psychanalyse (1).
Freud pourtant retira rapidement ses espoirs en une telle fonction prophylactique de l’éducation. Plus généralement, il posa la question de la conciliation envisageable entre les exigences égoïstes de l’individu et celles du renoncement imposé par la civilisation. Autrement dit, la question était de savoir comment concilier le développement de l’enfant vers la civilisation avec le maintien de ses capacités de bonheur. Au fond, la tâche de l’éducateur consiste à trouver le juste équilibre entre “le Charybde du laisser-faire et le Scylla de l’interdiction”. Il s’agit donc d’évaluer à chaque fois quel moindre sacrifice de plaisir peut apparaître compatible avec les nécessités de la vie sociale, sachant que le principe de plaisir a à être supplanté par le principe de réalité. Les frustrations majeures s’opèrent dans le domaine de la sexualité, mais Freud fait remarquer qu’une liberté sexuelle illimitée accordée dès la naissance ne conduirait pas à un meilleur résultat. C’est que la satisfaction facile tue le désir, que les obstacles font croître : “Il faut un obstacle pour faire monter la libido, et là où les résistances naturelles à la satisfaction ne suffisent pas, les hommes en ont, de tout temps, introduit de conventionnelles pour pouvoir jouir de l’amour”(2).
Cet interdit, qui est la condition du désir,
ne fait, pour la psychanalyse, qu’un avec celui qui frappe
l’inceste. La prohibition de l’inceste trace en effet la
ligne de démarcation entre animalité et humanité, et
débouche sur la constitution des lois sociales. C’est
aussi ce qui fait du désir une dimension spécifiquement
humaine. |