De la vérité du couple parental

La conception freudienne du complexe Oedipe est centrée sur la subjectivité de l'enfant. Cependant, l'examen des attitudes parentales dans leur engagement éducatif, telles que la clinique nous les révèle, permet la formulation de certaines lois générales concernant la parentalité.

Ainsi, à suivre les travaux de Didier Houzel(1) et de Philippe Julien(2), nous sommes amenés à distinguer trois axes anthropologiques fondamentaux dans le phénomène de la parentalité. Il y a tout d'abord celui qui touche aux grands repères symboliques qui structurent la civilisation. C'est le niveau d'un ordre de réalité qui transcende l'individu et sa subjectivité. Il concerne les lois anthropologiques qui donnent place et fonction à chacun, que ce soit celles de la parenté, de l'alliance ou de la filiation. C'est aussi le niveau des interdits fondamentaux, comme l'interdit de l'inceste ou l'interdit du meurtre. Référence est faite ici à la loi commune, celle du devoir, et c'est une dimension qui est soutenue par le Tiers social. Les parents en ont l'exercice , mais en cas de défaillance, c'est un Tiers symbolique qui vient prendre le relais (Juge, ASE, PJJ ....).

Il y a ensuite le niveau de l'expérience subjective consciente et inconsciente du fait de devenir parent et de remplir des rôles parentaux. Nous sommes ici sur l'axe du désir, celui qui préside à la naissance de l'enfant. Ce désir, articulé aux fantasmes des sujets-parents, donnent lieu à la projection sur l'enfant d'images idéales : l'enfant est d'abord saisi comme enfant imaginaire avant d'être perçu comme réel. Ce niveau concerne aussi l'assignation de places à l'enfant. Celui-ci est souvent inconsciemment appelé à trouver une place particulière, en fonction de la subjectivité des parents.

Il existe un troisième niveau général, c'est celui de la pratique de la parentalité, qui concerne ce que l'on pourrait appeler la loi du bien-être. Il s'agit des tâches quotidiennes que les parents ont à remplir auprès de l'enfant. Ce niveau concerne les soins à l'enfant, le souci de sa santé et de son équilibre. Il s'agit de soins physiques nécessaires, mais aussi de soins psychiques. On touche ici à la réalité des besoins de l'enfant.

On saisit bien évidemment que le repérage de ces trois niveaux n'est pas sans rapport avec la triade dégagée par J. Lacan, celle du symbolique, de l'imaginaire et du réel. Toutefois, il nous a semblé que nous devions compléter ce que nous avons repéré jusqu'ici au niveau collectif, comme réalité anthropologique, par l'étude de ce qui opère à l'intérieur même de la famille, comme unité toujours singulière. L'expérience montre que n'existent à ce niveau que des parcours uniques, à considérer au cas par cas, un par un.

La tripartition lacanienne peut là nous aider à repérer trois niveaux distincts :

Il y a d'abord celui de l'histoire symbolique de chaque parent. Chacun des parents se trouve mu par les signifiants singuliers de son histoire, véritables carrefours du destin, et source pour eux de significations multiples. Or, c'est avec cette donne-là que l'enfant se construit. C'est même à partir de cette donne qu'il va élaborer une dette symbolique à l'égard de ses parents. Tout se passe ici comme si quelque chose du destin de l'enfant était déjà écrit chez les parents, lui assignant une place symbolique bien précise. Libre à l'enfant d'y adhérer ou non. Il devra en tout cas " faire avec ".

Un deuxième niveau concerne le mode de construction individuel des fantasmes comme mises en scène de désirs. C'est proprement le niveau de la relation imaginaire entre parents et enfants. Chacun perçoit l'autre sur un certain mode de représentation, ce qui donne lieu à la mise en place de rôles intra-familiaux, dont l'analyse systémique nous donne si souvent l'éclairage. Toutefois, cet imaginaire de l'autre est toujours trompeur et aliénant. On sait que la prise de l'enfant dans la position d'"enfant-roi ", par exemple, comme celle de parent dans celle du " parent idéal ", conduisent à une méconnaissance réciproque des sujets, qui se trouvent ici masqués.

Le troisième niveau ne concerne plus la réalité des besoins de l'enfant, mais nous contraint à introduire la notion d' " objet réel ", le réel en question nous renvoyant à la notion de traumatisme et de séparation. C'est aussi une fonction parentale que d'accompagner l'enfant dans le processus de séparation qu'il peut faire avec des objets de satisfaction, au nom de l'humanisation. Mais ce processus suppose tout autant un " faire " de la part des parents, soit un acte véritable qui engage, qu'un " dire " autour de ces moments de bascule. La naissance, le sevrage, l'indépendance sphinctérienne par exemple, supposent la mise en place d'une coupure avec un objet " réel " à jamais perdu, mais qui continue cependant à fonctionner comme cause du désir (ici le corps de la mère, le sein, les fèces). Ces séparations peuvent donner lieu à des symptômes si le parent, pour des raisons qui ressortissent à sa propre histoire, ne peut accompagner symboliquement l'enfant à renoncer à ces objets. Il importe donc de s'intéresser aussi à la relation de chaque parent au réel de cette séparation nécessaire.

Dans la conception qu'en élabore J. Lacan(3), le symptôme de l'enfant se trouve en place de répondre à ce qu'il y a de symptomatique dans la structure familiale. Deux cas de figure peuvent se présenter :

— soit le symptôme peut représenter la vérité du couple parental. Dans ce cas, aussi complexe que soit le dépliage du problème, il reste le plus souvent ouvert à nos interventions d'aide et de soin. La vérité du couple parental peut justement concerner la dimension d'une séparation symbolique impossible dans la famille, nécessaire mais douloureuse.

— soit le symptôme de l'enfant ressortit à la subjectivité de la mère. L'enfant est ici intéressé comme corrélatif d'un fantasme dont est porteuse la mère. Il devient l' "objet " de la mère, et n'a plus de fonction que de révéler la vérité de cet objet. On peut dire qu'il réalise la présence de l'objet réel dans le fantasme maternel. De ce fait, la mère se trouve coupée de sa propre vérité, et le symptôme somatique de son enfant peut donner le maximum de garantie à cette méconnaissance.

Dans la perspective lacanienne que nous développons ici, on voit bien qu'il est tout à fait insuffisant de s'en tenir à une approche de ce que serait la réalité de la famille. Cette réalité est sous-tendue par un fantasme, et introduit nécessairement l'enfant au chapitre du symptôme. Nous sommes renvoyés à la catégorie du Réel pour devoir en rendre compte.

Alain Cochet

1) Didier Houzel, Les enjeux de la parentalité, Eres
2) Philippe Julien, Tu quitteras ton père et ta mère, Aubier
3) J. Lacan, "Deux notes sur l'enfant", Ornicar n° 37

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