Anna Freud

Anna Freud est née en 1895 à Vienne et décédée en 1982 à Londres où elle vivait depuis 1938. Elle est la troisième fille de Martha et Sigmund Freud et la dernière de leurs six enfants.

La petite enfance d’Anna Freud n’a sans doute pas été affectivement satisfaisante car elle n’avait pas avec sa mère une relation étroite. C’est une gouvernante catholique qui l’a éduquée dans les toutes premières années. Elle a eu des difficultés relationnelles constantes avec ses frères et sœurs, notamment sa sœur Sophie qui, plus séduisante, était une menace dans la lutte pour obtenir l’affection du père. Les deux jeunes sœurs auraient ainsi développé deux « territoires » : pour l’une la beauté, pour l’autre l’intelligence. Durant cette période Anna a souffert de dépression et de troubles alimentaires. Sans doute cela aura, pour une part, déterminé ses intérêts constants pour la vie affective des enfants – elle qui est restée célibataire sans enfant.

Sa relation avec son père était très différente de celles des autres membres de la famille, elle avait la réputation de faire des bêtises. Mais son père ne la désapprouvait pas et dans son journal, il parle beaucoup plus souvent d’elle que du reste de la famille.
À l’adolescence, Anna ne souhaite plus aller à l’école, elle préfère apprendre auprès de son père et de ses invités. À 15 ans, elle commence à lire La science des rêves où elle découvre le récit du « rêve des cerises » qu’elle avait raconté quand elle avait 19 mois.
Bien avant l’exil de 1938, elle s’est rendue en Angleterre mais, de manière étrange, les caprices du destin avaient déjà marqué ce séjour abrégé du sceau de la guerre, puisque c’était au moment de la déclaration de la première guerre mondiale. Elle devra fuir en « ennemie », le pays qui lui sauvera la vie à peine un quart de siècle plus tard.

Une très jeune psychanalyste

À Vienne, elle travaille comme institutrice. Elle est déjà passionnée par la psychanalyse et l’œuvre de son père. Elle commence par être la bibliothécaire de l’Association Viennoise de Psychanalyse. Elle entreprend une analyse avec Freud. De nos jours, une telle chose est impensable, mais n’était pas si rare à l’époque (Mélanie Klein avait aussi entrepris, sinon une analyse, du moins une observation psychanalytique de ses enfants).

Elle propose son premier article en 1922 « Schlagephantasie und Tagtraum », à propos « du fantasme de correction et de la rêverie diurne » devant la Société psychanalytique de Viennes. On ne peut manquer de penser que cela fait écho au texte de son père, en 1919, On bat un enfant.
L’analyse des enfants

Son expérience d’enseignante lui sera fort utile pour aborder, en pionnière, la pratique de l’analyse des enfants que Mélanie Klein avait aussi entreprise à Berlin, elle aussi en pionnière. Anna Freud et Mélanie Klein utilisent de manière différente le jeu dans la technique analytique avec les enfants. Cela correspond à une différence théorique profonde et pas seulement à une manière de faire.
Anna Freud croit à la possibilité de créer une véritable pédagogie analytique qui serait à la fois prophylactique et thérapeutique. Elle considérait, à la différence de Mélanie Klein, qu'un enfant est trop fragile pour suivre une analyse directement avec un analyste, notamment parce que la fragilité du Surmoi est trop importante et ne permet pas d’aborder la question œdipienne. Elle se réfère au rôle que pouvait tenir le père dans le célèbre cas du Petit Hans. L’enfant doit bénéficier d’une action éducative de la part de ses parents, eux-mêmes informés de psychanalyse et soutenus par le thérapeute.

Anna Freud acquiert vite une renommée grâce à son séminaire viennois qui attire des analystes de Prague et de Budapest. On y étudie un large panorama des troubles psychiques, mais Anna Freud porte aussi beaucoup d’attention à l’étude du développement normal. Elle pense que le normal et le pathologique s’éclairent mutuellement.


Psychanalyse et éducation

Elle souhaite appliquer le savoir psychanalytique à l’éducation et propose des lectures pour les maîtres et les parents. Avec son amie et collègue Dorothy Burlingham1 elle établit le projet d’une école qui serait « à la croisée de la crèche et de l’école maternelle » pour les plus pauvres enfants de Vienne qui pourraient recevoir simultanément des soins physiques et psychologiques. Cette institution, connue sous le nom de « Jackson Nursery », est financée par la riche psychanalyste Edith Jackson. L’enseignement y est prodigué selon la méthode Montessori2. Anna Freud est attentive aux interactions des maladies physiques et des troubles psychologiques chez le jeune enfant, ce qui sera une orientation nouvelle pour la pédiatrie. Pour se perfectionner dans son travail avec les adultes elle se rend régulièrement à la clinique universitaire de psychiatrie, discipline pour laquelle, elle gardera un grand intérêt.

Les mécanismes de défense

Après de nombreux articles, paraît en 1936 son premier ouvrage où elle propose une étude systématique complète d’un important mécanisme psychologique observé dans les cures, c’est Le Moi et les mécanismes de défense, traduit en anglais un an plus tard. La part essentielle de ce travail consiste à distinguer les défenses contre les produits des pulsions de celles des affects douloureux. C’est dans cet ouvrage que nous percevons le mieux le point nodal théorique de la conception de la psychanalyse selon Anna Freud

Elle est centrée sur le fait qu'il y a une adaptation possible – et finalement souhaitable – entre le Moi et la réalité. Le terme de réalité doit être ici entendu comme la somme des exigences des pressions internes et externes à laquelle un individu mature doit pouvoir répondre normalement sans trop de souffrances. Les mécanismes de défense du Moi doivent permettre d’obtenir ce résultat. Durant le développement de l’enfant, élevé dans des circonstances favorables, ces mécanismes se mettent progressivement en place et sont assez variés pour répondre à différents besoins. Par exemple, en accord avec Sándor Ferenczi, Anna Freud met en évidence la fonction défensive du mécanisme de l'identification à l'agresseur qui permet à l’enfant apeuré (pression externe) ou en proie à des pulsions agressives à l’égard du parent (pression interne) de jouer au loup, au docteur. On comprend d’ailleurs qu’une situation perçue par la conscience, écouter une histoire qui fait peur ou aller chez le médecin, peut solliciter des processus inconscients.

Anna Freud va dresser une liste, non exhaustive à ses yeux, des mécanismes de défenses les plus courants que sont : la régression, le refoulement, la formation réactionnelle, l’isolation, l’annulation, la projection, l’introjection, le retournement sur soi, le renversement dans le contraire et la sublimation. Ces mécanismes sont mis en œuvre dans trois circonstances où le déplaisir, toujours lié à des tensions, doit être évité :
– Chez l’enfant, c’est la peur de commettre un acte qui entraînerait une punition ou une perte de l’amour des parents. C'est donc par crainte de la réaction du monde extérieur que l'enfant redoute la pulsion qui l’invite à commettre un acte interdit. Il n’y a pas là d’intervention du Surmoi. Ce serait la situation typique des névroses infantiles,
– Au moment d’un déséquilibre pulsionnel lié à des transformations physiologiques comme la puberté ou la ménopause, les pulsions peuvent apparaître, pour le Moi, trop intenses, menaçantes, désorganisatrices des équilibres construits au préalable. Ce peut être aussi lors du déclenchement d'une psychose,
– Dans les cas de névrose des adultes, c’est la peur du Surmoi qui sollicite l’intervention des mécanismes de défense du Moi : par crainte du Surmoi. C’est le cas tout à fait classique décrit par S. Freud.
Nous pouvons noter que ces mécanismes de défense font appel pour la majorité d’entre eux à ce que S. Freud avait mis en évidence dans le cas du Président Schreber, à savoir un traitement par le langage des représentants de la pulsion.
Ce n’est pas la « quantité d’énergie » de la pulsion, son intensité, qui sont transformées, mais le jugement d’existence de celle-ci, la désignation de son but et son objet.

On peut noter que de la régression à la sublimation, il y a comme une sorte de graduation de la rigueur des défenses. Dans la régression, par exemple, le Moi n’accepte même pas de considérer qu’il est aux prises avec une pulsion dérangeante. Cette défense massive a des conséquences affectives et intellectuelles lourdes. Pour utiliser des termes propres à la théorie d’Anna Freud, on dira que le Moi régresse d’un degré supérieur de maturité à un degré inférieur. Par exemple, à la puberté le choix de l’amour objectal conformément aux rôles sociaux et aux exigences de la pulsion « mature » n’est pas accompli et l’individu régresse à des phases antérieures du développement plus « infantiles », comme la dépendance (oralité), l'opposition (analité) ou la revendication phallique. La sublimation est une défense « supérieure » dans la mesure où le Moi affronte la poussée pulsionnelle, il en reconnaît l’existence et peut ainsi mieux la diffuser sur des buts et des objets divers.
Par exemple, une part de l’agressivité peut être élaborée en action politique ou sociale philanthropique, le désir sexuel peut renoncer à un mode direct d’accomplissement en investissement l’amour du savoir, l’amour du prochain ou des réalisations artistiques ou culturelles. Intellectuellement et affectivement, cela paraît plus utile pour l’individu et son environnement que le recours à la régression.
Tout le développement ultérieur de la psychologie du Moi (l’Ego psychology, très en faveur dans les pays anglo-saxons) et des usages de la psychanalyse et des interventions psychologiques, éducatives, préventives ou thérapeutiques qui s’en réclament portent la marque de l’importance théorique accordées à ces mécanismes de défenses. On voit même que chez certains psychologues ou éducateurs, ces mécanismes ne sont plus tenus, comme pour Anna Freud, pour des mécanismes inconscients, mais ressortissent d'une sorte de subconscience ou pré-conscience qui en permettrait l’éducation, voir le conditionnement.

À Londres

Par suite de l’annexion de l’Autriche par les nazis, Marie Bonaparte et Ernest Jones organisent l’exil anglais de Sigmund Freud, de certains membres de sa famille et de psychanalystes. Freud et sa fille, avec d’autres collègues, sont admis comme membres de la Société Britannique de Psychanalyse. Malgré le bon accueil, les différences entre les « anglais », pour une part favorables aux conceptions de Mélanie Klein et les nouveaux arrivants sont importantes et donnent lieu à une série de discussions entre 1941 et 1945 dont nous verront les termes et les enjeux ci-après.
L’éclatement de la guerre, la situation des enfants sans domicile sous les bombes la conduit à créer avec Dorothy Burlingham, les Hampstead War Nurseries. Anna Freud mène des observations scrupuleuses qui vont enrichir la connaissance du développement de l’enfant et celles des soins éducatifs, psychologiques et médicaux apportés aux enfants en internat. Les conclusions seront rassemblées et publiées dans Jeunes enfants en temps de guerre (1942) et Enfants sans famille (1944).

La fondatrice d’un courant de pensée

En 1947, Anna Freud crée un enseignement de psychanalyse d’enfants et en 1952, elle fonde la Hampstead Child Therapy Clinic rebaptisée à sa mort « Centre Anna Freud ». Elle peut développer ses recherches dans des conditions très favorables avec des équipes qu’elle motive et guide. À partir de ses recherches, de ses observations et de sa clinique, Anna Freud constitue un groupe d’analystes et de psychologues du développement de l’enfant qui compte notamment Erik Erikson3 et Margaret Mahler4. Ils conçoivent le medèle d'une sorte de ligne de développement normal qui conduit de la dépendance à l’autonomie affective.

En 1965, la publication de Le normal et le pathologique chez l’enfant donne une synthèse de ces travaux. Elle continue à produire de nombreux textes qui servent de références diagnostiques ou théoriques consacrées aux troubles du développement.
Anna Freud reçoit de nombreux titres honorifiques. Notamment, elle est faite « Commander of the British Empire », mais elle est particulièrement fière de recevoir à Vienne en 1975 le titre de docteur en médecine et en 1981, à l’Institut Goethe de Francfort un doctorat, là où un demi siècle plus tôt, son père avait reçu le Prix Goethe de littérature.

Durant ces dernières années, une anémie l’accable, mais son esprit reste clair. Ses cendres sont déposées près de celles de son père au Golders Green crematorium à Londres.

Références : Trois ouvrages permettent une vue synthétique sur l’œuvre d’Anna Freud : Le Moi et les mécanismes de défenses, P.U.F, Le normal et le pathologique chez l’enfant, Gallimard, Le traitement psychanalytique des enfants, P.U.F.

1 Analysée à Vienne par Theodor Reik puis Sigmund Freud elle est devenue une amie intime et peut-être la compagne d'Anna Freud. Elle a fondé la Hampstead Clinic de Londres en 1956 destinée aux soins psycho-éducatifs des enfants

2 Maria Montessori est la première femme médecin d'Italie. Conduite à s'occuper d'enfants présentant des difficultés importantes, elle crée en 1907 une première « Maison des enfants ». Elle souhaite que l'école fasse confiance à l'enfant et l'accompagne dans ses découvertes. Initiative et coopération respectent plus la « nature » de l'enfant que l'autorité.

3 Erik Homburger Erikson (1902 - 1994), né en Allemagne, est un psychologue américain, auteur d'une théorie du développement psychosocial en huit stades successifs. À chaque stade du développement psychosocial survient une crise qui doit se résoudre par l'atteinte d'un équilibre entre des forces qui s'opposent, faute de quoi le développement du Moi risque d'être compromis. Enfance et société, Delachaux et Niestlé, 1959, rééd. 1994 est caractéristique de son approche.

4 Margaret Schoenberger Mahler, psychiatre et psychanalyste américaine d'origine hongroise, (1897 - 1985), a élaboré une série de stades du développement de l'être humain vu sous l'angle de la distance relationnelle entre l'enfant et sa mère. Elle a particulièrement étudié les psychoses infantiles. On peut lire notamment Psychose infantile : symbiose humaine et individuation, Paris, Payot & Rivages, coll. « Petite Bibliothèque Payot »,‎ 2001 (1re éd. 1973)

texte extrait de Gilles Herlédan,  Éléments de psychanalyse, Éd. des Sources et des Livres