Mélanie Klein

Née à Vienne en 1882, elle décède en 1960 à Londres, où elle était installée depuis 1926. La vie de Mélanie Klein a été marquée par de nombreuses circonstances douloureuses. Il semble qu’elle n’avait pas reçu beaucoup d’affection de la part de ses parents. Sa sœur aînée est morte quand Mélanie avait 4 ans, elle aurait aussi été tenue pour responsable de la mort de son frère.

Mariée et mère sans avoir fait d’études comme elle le souhaitait, son mariage ne sera pas heureux, elle divorcera au moment de son installation à Berlin. Son fils mourra dans un accident d’escalade au moment où sa fille Melitta Schmideberg, elle-même analyste, l’attaquera vivement dans la controverse avec Anna Freud. La mère et la fille ne se réconcilieront pas avant que la mort ne les sépare et M. Schmideberg n’assistera pas aux funérailles de sa mère.

Premiers contacts avec la psychanalyse

Elle a commencé à se familiariser avec la psychanalyse un an avant et brièvement après les événements traumatiques de 1914. Elle entreprend une analyse avec Ferenczi qui se poursuit jusqu’en 1917. Elle est souvent éloignée de Budapest à cause des contraintes de la guerre et son analyse a sans doute été interrompue.

Ferenczi l’a encouragée dans la compréhension psychanalytique des enfants dans la perspective du cas du « Petit Hans ». Elle commence une recherche sur ses propres enfants. Elle résume ses premières réflexions en 1919 devant la Société hongroise de psychanalyse dont elle devient membre. Mais elle doit bientôt quitter la Hongrie à cause de l’antisémitisme et des bouleversements politiques violents de l’après-guerre. Elle se rend à Berlin avec ses enfants tandis que son mari travaille en Suède.

L’analyse des enfants

Durant son séjour à Berlin, elle est membre de l’Institut psychanalytique de Berlin (1921-1926), et développe une technique d’observation et d’interprétation rigoureuse dédiée à la psychanalyse des enfants. L’observation du jeu a déjà une place primordiale. Elle entreprend alors une analyse avec Karl Abraham dont elle gardera l’empreinte durable de la théorie dans le développement de ses propres idées psychanalytiques.

Installation à Londres

Le séjour berlinois sera bref car Mélanie Klein gagne Londres en 1926 sur l’invitation d’Ernest Jones. En effet, elle avait rencontré à Berlin Alix Strachey qui était aussi en analyse avec Abraham. Vivement impressionnée par le travail de Klein, elle devint son amie et parla d’elle à son mari James, psychanalyste. Elle est invitée à donner une série de conférences à Londres en 1925. La Société britannique de psychanalyse apprécie beaucoup ce travail. Invitée à venir à Londres de manière permanente, cette fois, elle s’y installe en 1926, très vite suivie par ses enfants.

Les premières années sont très heureuses, elle reçoit un vif soutien de la plupart de ses collègues anglais avant qu’Anna Freud ne propose en 1927 une nouvelle manière de pratiquer l’analyse des enfants et critique celle de Mélanie Klein.

La compétence clinique de M. Klein, excellente enseignante et innovatrice, a de profondes conséquences sur le travail de la Société britannique tout entière. Cependant une réaction violente commence à se manifester contre elle peu de temps avant qu’elle ne lise en 1935 sa communication sur « la position dépressive ». E. Glover qui a analysé la fille de Mélanie Klein, se montre vivement hostile et affirme que Mélanie Klein n’a pas une pratique assez longue de l’analyse pour contester les points de vue plus classiques défendus par Anna Freud à propos du développement de l’enfant.

Le conflit avec Anna Freud

L’ambiance est tendue. Aussi, quand Anna Freud arrive à Londres en 1938, Mélanie Klein est-elle très inquiète de voir son travail mis en danger. Mais elle est déterminée à défendre ses idées.

De plus, en dehors des questions théoriques, il y avait pour chacune des deux adversaires des circonstances personnelles propres à aggraver la passion des débats. Pour Anna Freud, il fallait accepter le deuil de son père et l’exil. Mélanie Klein, en deuil de son fils, voyait sa propre fille Melitta Schmideberg en analyse avec Glover, devenir une de ses opposantes la plus dure.

La Société britannique avait clairement perçu que cette rivalité pouvait conduire au désastre en faisant éclater toute la communauté internationale des analystes puisque Anna Freud, les « Viennois » et les « Berlinois » défendant des vues plus classiques, revendiquaient leur orthodoxie analytique et souhaitaient que Mélanie Klein et ses partisans soient exclus de la communauté psychanalytique. Afin d’éviter une telle extrémité, la discussion fut donc formalisée sous la direction d’un comité bipartisan présidé par Ernest Jones.

Les « kleiniens », quelque peu mis en position de devoir se « justifier », furent dans l’obligation de présenter quatre articles sur les points théoriques de désaccord les plus importants.

Susan Isaacs1 présenta le premier article en janvier 1943 : « Nature et fonction des fantasmes inconscients » à propos de la question de possibles fantasmes pré-œdipiens dont l’existence est mise en doute par Anna Freud.

Paula Heimann2 propose en juin de la même année : « quelques aspects du rôle de l’introjection et de la projection dans le développement précoce ». Toute la question porte sur le « précoce », puisque Mélanie Klein suppose l’existence de mécanisme de défense avant le développement du Moi ou suppose l’existence d’un Moi précoce. Ce qui contredit le point de vue d’Anna Freud relativement aux mécanismes de défense du Moi.

Isaacs et Heimann donnent le troisième article en décembre 1943 : « De la régression ». Sur ce point encore, un terme qui paraît admis depuis des années dans la théorie – Freud en a parlé dès La science des rêves – est soumis à la critique par les analystes kleiniens, notamment pour savoir quel est le rôle du Moi ou comment il est affecté par cette régression.

C’est en mars 1944, que Mélanie Klein donne le dernier article : « La vie affective et le développement du Moi de l’enfant avec une référence particulière à la position dépressive ». Cette fois apparaît de manière explicite dans le titre un des concepts majeurs auquel Anna Freud est particulièrement opposée. En effet « la position dépressive » n’est pas en adéquation avec le schéma classique du développement pulsionnel.

Les contributions des « freudiens » sont moins innovatrices au plan théorique, puisqu’ils entendent confirmer ce qui est déjà acquis, mais plus axées sur les problèmes de la technique de la cure, particulièrement le maniement du transfert et la manière d’interpréter les mécanismes de défense du Moi qui sont devenus le pivot de la théorie d’Anna Freud.

Le résultat de la controverse est une impasse puisque M. Klein et A. Freud développeront finalement chacune leur « école » et que la majorité des « anglais » crée un groupe des « indépendants » qui ne s’aligne sur aucune des deux autres écoles. Toutefois, les membres des trois groupes demeurent admis comme analystes au sein de l’Association internationale de psychanalyse.

Penser la toute petite enfance

La principale contribution de M. Klein est d’avoir créé une méthode d’analyse des enfants, notamment très jeunes, en développant les approches de Hermine Hug-Hellmuth3 (1921). Sa nouvelle technique est aussi rigoureuse que celle utilisée dans l’analyse des adultes.

Mélanie Klein montre que les jeux des enfants sont leur premier mode de communication. Après avoir observé des enfants perturbés jouant avec des poupées, des animaux, de la pâte à modeler, des pinceaux et du papier, elle tente d’interpréter le sens spécifique de ces jeux. Elle insiste sur le rôle significatif que les figures parentales tiennent dans les fantasmes des enfants.

Cependant, à la différence de ce que propose Anna Freud, Mélanie Klein insiste particulièrement sur l’aspect fantasmatique des représentations que les enfants ont de leurs parents. Il y a une activité fantasmatique spécifique de l’enfant qui n’est pas seulement dépendante des actions effectives des parents. Par exemple, le coté « bon » de la mère, ne tient pas seulement à ses attitudes gratifiantes concrètes, mais à la manière dont l’enfant, en fonction de la position psychique dans laquelle il se trouve, les perçoit, les construit avec les moyens dont il dispose au plan inconscient. En somme, Mélanie Klein insiste, bien plus que d’autres analystes de son époque, sur la différence qu’il faut opérer entre réalité comportementale et sociale et réalité psychique. Pour elle, c’est la réalité psychique qui conditionne la manière dont les éléments de la réalité dite « objective » sont perçus.

Elle en déduit que la chronologie freudienne du complexe d’Œdipe est incorrecte. De son point de vue, des éléments du Surmoi sont présents dès les tout premiers mois de la vie et ont une autre origine que l’intégration des interdits parentaux au moment de la résolution du complexe d’œdipe. Ces éléments précoces tiennent à la vie fantasmatique propre à l’enfant. L’éducation vise moins à imposer un Surmoi à l’enfant qu’à lui permettre de substituer au Surmoi précoce et féroce, un Surmoi moins exigeant.

Elle en voit la preuve dans l’exploration des fantasmes agressifs de haine, d’envie et d’avidité chez les enfants très jeunes ou en grande souffrance. Mélanie Klein, respectant ainsi les résultats des dernières découvertes de Sigmund Freud, établit un modèle du psychisme humain articulé sur la dialectique des pulsions de vie et pulsions de mort. Elle considère que le principe de vie, qui n’est nullement donné par la naissance physiologique, devient prédominant seulement à partir de la position dépressive, c’est-à-dire environ six mois après la naissance. Ultérieurement, elle indique que le développement psychique du très jeune enfant connaît une autre phase, plus précoce qu’elle nomme position schizo-paranoïde dans laquelle prédominent les tendances opposées à la vie.

La position schizo-paranoïde

Il faut d’abord préciser le vocabulaire. Les enfants nouveau-nés ne sont pas atteints de pathologie mentale. Le mot « schizo » renvoie à l’idée de division. Le mot paranoïde fait penser à paranoïaque. Ce que Mélanie Klein retient, c’est l’idée de persécution qui est spécifique de la paranoïa dans sa forme pathologique.

La position schizo-paranoïde est celle durant laquelle l’enfant divise l’objet maternel en bon et mauvais, le « mauvais » objet prenant alors un rôle persécuteur. Cette période concerne les trois premiers mois de la vie de l’enfant4. L’expérience de la naissance constitue pour l’enfant le prototype de toutes les angoisses ultérieures. Par contre, la présence de la mère, porteuse du « sein » gratifiant (entendons que ce peut être le vrai sein comme tout objet de la mère, soit : le biberon, fût-il comme aujourd’hui parfois tenu par le père), oriente l’enfant vers un amour d’objet gratifiant. Lorsque la faim et les tensions sont apaisées, état qui est peu durable dans la vie du nourrisson, un équilibre s’établit entre les pulsions agressives et les pulsions orientés vers l’objet.

Le sein présent est bon et aimé, le sein absent est mauvais et haï. Cette ambivalence à propos du même objet5 nécessite pour préserver une certaine unité psychique de projeter à l’extérieur les causes de haine. Le mauvais sein devient lui-même dévorateur à la mesure des tensions dévoratrices siégeant chez l’enfant. Le surgissement interne de haine devient ainsi menaçant. Mélanie Klein voit là les racines du Surmoi.

Il arrive que l’observation nous donne des indices de l’existence de ces processus. On peut voir, en effet, que l’attente trop longue de la tétée entraîne chez le tout petit enfant un moment d’incapacité à recevoir enfin ce qu’il attend, la bouche se crispe alors en un plus ou moins bref moment de morsure. On mesure que la réponse parentale, souvent posturale – se raidir, se crisper, forcer quelque peu l’intromission de la tétine –, prend alors une grande importance pour ne pas courir le risque de confirmer l’enfant dans sa position persécutrice. Si la mère est elle-même menacée de ne pas être, ne serait-ce qu’un bref instant, aimée totalement par son enfant, elle se trouve alors dans l’incapacité de le sécuriser. Il est bon que près d’elle quelque tiers soit présent – psychiquement – pour dénouer les enjeux de telles angoisses.

La position schizo-paranoïde correspond au primat de la zone orale qui est à la fois celle qui permet la subsistance et la destruction de l’objet nourricier. Les progrès physiologiques6 de la myélinisation axiale et proximo-distale du système nerveux, en transformant l’étendue et la nature de ses perceptions externes et internes vont permettre à l’enfant de se séparer des fantasmes schizo-paranoïdes.

La position dépressive

Comme pour la position schizo-paranoïde, il n’est pas question ici de pathologie. La dépression concerne l’omnipotence (orale) de l’enfant à laquelle celui-ci doit renoncer. Vers six mois environ, le nourrisson reconnaît un objet total et peut se situer par rapport à lui.

Il n’est plus menacé par sa capacité fantasmatique de destruction et peut ainsi bénéficier de la permanence du bon objet qu’il intériorise. Cependant, il « paie » cette stabilité par une relation de dépendance à des objets devenus permanents mais qu’il ne peut plus détruire ou expulser. La réalité extérieure naît à ce moment.

En somme, l’enfant accepte de perdre son omnipotence potentiellement destructrice et génératrice de mauvais objets persécuteurs, au profit d’une possibilité de maintenir en lui-même des « bons objets ». Ces objets ne sont pas intrinsèquement bons par quelque qualité naturelle, ce sont des objets « réparés » au plan fantasmatique. Ce ne sont pas des objets parfaits.

On peut observer assez aisément comment les bébés savent de mieux en mieux manifester leur bien-être à l’égard de l’adulte qui en prend soin. À proprement parler, ils le gratifient par le sourire déterminé ou la posture de détente. Prémices de l’échange et de la dialectique des demandes qui se développera avec l’apprentissage de la propreté, ces attitudes nouvelles du bébé rassurent la mère et la « réparent » dans l’espace psychique du bébé tandis qu’elle-même se voit confirmée être « bonne7 ».

Les soins pédiatriques auprès des bébés concernant notamment les troubles de l’endormissement et du sommeil, l’alimentation, peuvent voir leur efficacité accrue si les praticiens prennent en compte ces aspects relationnels précoces. Ce qui passe sans aucun doute par la prise d’un peu de temps pour parler avec les mères et, pourquoi pas, avec les pères. Mélanie Klein mettra finalement en avant, comme un des éléments les plus importants de la vie psychique, la notion d’envie dont le prototype est l’envie du sein. Elle joue un rôle important dans la naissance de la jalousie et peut être considérée comme un précurseur de la jalousie œdipienne. D’une certaine façon, on peut considérer que le complexe d’œdipe vient pacifier les ravages possibles de l’envie primordiale. J. Lacan prendra appui sur les travaux de Mélanie Klein, qu’il admirait, pour établir sa théorie du rapport du sujet à l’objet de son désir. L’objet n’est plus alors ce qui satisfait le désir, mais ce qui le cause8.

Influence des idées kleiniennes

Les conceptions théoriques de Mélanie Klein ne sont pas acceptées chez les analystes qui font prévaloir l’importance du Moi et de ses mécanismes de défense dans le développement de la personne et estiment qu’on ne peut pas réellement connaître les étapes primitives de la vie psychique de l’enfant. Le plus souvent ces praticiens se réclament de l’orthodoxie freudienne garantie par l’autorité de l’Association internationale de psychanalyse (IPA). Ils soulignent l’importance des relations concrètes avec les parents comme cause ou des névroses infantiles qui leur semblent plutôt être des réponses à des conditions inadéquates d’éducation ou, redressées, moyens de le guérir.

Ceux qui ne partagent pas ce point de vue et insistent plutôt sur l’importance de la réalité psychique et des fantasmes qui la caractérisent les désignent comme appartenant au courant de l’Ego psychology qui les éloigne de l’esprit même de la psychanalyse.

texte extrait de Gilles Herlédan,  Éléments de psychanalyse, Éd. des Sources et des Livres


1 Psychanalyste anglaise (1885 - 1948). S’est d’abord intéressée à la pédagogie progressiste avant de rejoindre le courant de Mélanie Klein. Elle a cherché à faire valoir les apports de la psychanalyse dans le domaine de l’éducation et a enseigné la pédagogie au Child Development Department à l'Université de Londres.

2 Psychiatre et psychanalyste anglaise (1899 - 1982), très proche de M. Klein, elle va ouvrir une voie originale dans la prise en compte du « contre-transfert ». On trouve dans Développements de la psychanalyse par Mélanie Klein, Joan Riviere et Susan Isaacs, PUF-Quadige, 2009, l’exposé des vues essentielles du courant kleinien.

3 Psychanalyste née à Vienne (1871 - 1924), Hermine von Hug-Hellmuth est tout d'abord institutrice. Elle est la première psychanalyste à s'intéresser spécifiquement à la psychanalyse des enfants. Elle sera étranglée par son neveu, âgé de 18 ans, un de ses principaux patients, qu'elle avait élevé puis placé en maison de redressement.

4 Certains psychanalystes ne sont pas d’accord avec cette conception qui, évidemment, met en évidence conformément aux dernières vues de Freud que la pulsion de mort est première, aux sources mêmes de la vie. En proposant ce modèle, Mélanie Klein a pris le risque de nous priver de la nostalgie réparatrice du « Paradis perdu ». Elle ne pouvait pas espérer ainsi pouvoir recueillir l’approbation, tant du public que de certains de ses collègues.

5 On peut la repérer dans les cas d’addiction dont elle est une composante certaine mais pas exclusive.

6 La référence à la psychanalyse ne suppose pas, comme certains font mine de le croire, une négation de l’évidence… Ainsi les contraintes physiologiques de la naissance à la mort ne manquent-elles pas d’imposer à l’appareil psychique un travail constant pour donner à la fois signification et valeur d’échange humain à ce qui advient à l’individu que ce soit « normal », pathologique ou accidentel. Par contre, l’orientation psychanalytique soutient que le normal, le pathologique ou l'accidentel n’a pas de sens en soi de manière « naturelle ». Ce sens dépend d’une élaboration psychique, dans une large mesure inconsciente, propre à chaque sujet.

7 On sait que dans certains cas le comportement objectif de la mère est, non sans raison, jugé inadéquat. Les soins d’hygiène sont médiocres, les horaires aussi irréguliers que l’humeur, les relations instables avec l’entourage. Se pose alors la question très difficile pour la société de savoir si la séparation de la mère et de l’enfant doit être envisagée. Mais il n’est pas toujours assuré que l’enfant ne sache pas « réparer » cette mère au point de la fantasmer « bonne » malgré ses carences réelles. La séparation protectrice peut se révéler dommageable et rien ne garantit que la permanence du lien ne le soit pas. Les professionnels chargés des missions de protection de l’enfance sont exposés à éprouver ainsi, dans une sorte de transfert violent, le retour sur eux-mêmes, au bénéfice escompté d’autrui, d’angoisses fort précoces.

8 Nous évoquerons plus largement cette question dans la troisième partie de ce texte.