Vers la solution finale de la question de l’inconscient ?

Il faut être stupide et malhonnête pour lire Freud ! C’est l’argument de haute volée que Jacques Bénesteau développe dans son ouvrage récent : Mensonges freudiens, éditions Mardaga.


Une revue sérieuse, La Recherche, a sollicité ce mois de décembre 2002 une critique de cet ouvrage de la part d’un… neurologue expérimentaliste (M. Pessiglione). Évidemment le spécialiste le plus avisé qui soit en matière de psychanalyse. Grande tradition du dénigrement de la psychanalyse et dans les termes les plus médiocres qui soient. Mais pourquoi donc ce monsieur Bénesteau — il aurait été psychologue clinicien en pédopsychiatrie… — a-t-il tant de mal à supporter que la psychanalyse existe ? Où cela lui fait-il mal au point d’entreprendre une croisade aussi acharnée qui mélange les procédés de l’Inquisition et ceux des procès staliniens du meilleur métal ?


Que la psychanalyse soit critiquée, je n’y vois nulle objection, au contraire, c’est un gage de santé pour son avenir, pour autant qu’une once d’honnêteté intellectuelle soit conservée.

Hélas, ce n’est pas le cas ici. Ceux qui voudront voir la « qualité » des arguments développés en trouveront une critique au bas de cet édito.


* * * * *


Les critiques malveillantes de la psychanalyse ne sont pas nouvelles. Mais, loin de m’y habituer avec l’expérience, je ressens un malaise de plus en plus prononcé face à ces attaques. Lorsque le combat était idéologique, il portait finalement à peu de conséquence à long terme et crevait de son vide constitutif.

Que la science, avec son appareil impressionnant de procédures et de prétention à la vérité, veuille ainsi la solution finale de la question de l’inconscient suscite chez moi les plus vives craintes. Quel est le monde qui est ainsi promis ?

Un monde de silence.


Pourquoi est-ce si important que la psychanalyse soit réduite dans l’article en cause à un « système de croyances irrationnelles » ?  Si vraiment elle n’était que cela, il serait bien inutile qu’elle suscite une telle fureur, un tel besoin de croisade et se serait désagrégée depuis belle lurette…

 

Derrière la référence à la science affichée il y a comme une passion : celle que la psychanalyse doit être ou inutile ou dangereuse pour qu’elle n’existe pas. Il ne s’agit plus de critiquer, il s’agit de vouloir l’éradiquer et de justifier les moyens d’y parvenir quels qu’ils soient, comme on a pu le voir plus haut.


Ce serait bien, pour les Bénesteau et leurs partisans — car ils ne manquent pas d’être affiliés à une idéologie qui défend des intérêts bien matériels : le libéralisme marchant —, de pouvoir se teinter de science pour affirmer que :


  • rien n’a droit d’existence hors de La Science, ce qui exclut tout le patrimoine culturel sous ses formes littéraires, artistiques et aussi institutionnelles qui ne pourront jamais être « réduites » en science, et qu’on peut les désintégrer,
  • les déterminations des hommes ne doivent pas se différencier pas de celles des animaux et résultent de « besoins », compris comme des « réponses » à des « stimuli » internes ou externes, ce qui rendra leur gouvernement enfin aisé,
  • l’expérience singulière de la souffrance, de la contradiction, de la joie, de l’amour… exprimée dans le langage est un artefact ou une illusion, l’entendre est une erreur , une manipulation ou une malignité,
  • enfin, il importe de refuser que « lorsque un homme parle à autre homme » il se passe quelque chose d’effectif,
  • au final, l’homme est un objet naturel de science, qui ne peut être distingué d’aucun autre et se trouve comme tel, justiciable des mêmes traitements expérimentaux, si besoin — et seuls les scientifiques en décideront.


Je propose, pour ma part, que cette fureur anti-psychanalytique tient à quelques impératifs puissants chez ces auteurs, une haine de l’humanité — qui renvoie à la haine de soi —, une incapacité à faire face à la douleur, à l’incertain de la rencontre et de l’engagement. Puisque l’homme est mortel et imparfait, rétif à être gouverné par le pur calcul ou le pur savoir, oublions-le.


Étrange et terrible perversion de la science en intégrisme scientiste, passion de détruire l’altérité, la différence, la plus simple variation de stéréotype. Bûchers et couteaux sont inexorablement appelés au service de tels « idéaux ».
Évidemment, la psychanalyse est insupportable pour qui croit et souscrit à un tel programme et l’on comprend mieux pourquoi M. Pessiglione a choisi de se confronter à des patients plus à la mesure de cette « éthique » et qui ne risquent pas de lui opposer des arguments parasites : des primates, si l’on en juge par la présentation de l’équipe aux travaux de laquelle il collabore. C’est tout de même significatif.


Un monde de primates silencieux et satisfaits, voilà leur ambition  pour l’humanité ! à condition de s’en extraire en position de maîtrise, bien sûr.


Et là, c'est la question de la jouissance tapie derrière la science qu'il conviendra d'interroger. Comptez sur ce site pour ne pas se dérober à cette tâche !


G. Herlédan
Décembre 2002

Le degré zéro d’un débat
  • Évidence contre argument :

Cela commence par l’éternel chapitre sur la théorie traumatique des névroses et l’abandon de celle-ci. Cette question, éculée, n’est pas « tabou » et peut être examinée sérieusement, mais on décide que c’est un conte de fée dont évidemment Freud ne peut fournir de preuve à… la communauté médicale qui, comme on le sait, était particulièrement bien armée en matière conceptuelle sur cette question et extrêmement efficace dans les soins qu’elle prodiguait aux patientes : électrothérapie, hydrothérapie, exil à la montagne, cures diverses toutes faites d’agression et de privations contre ces malheureuses « rétives et perverses ».

Cet « évidemment » me fait penser à un terrible « la mère forcément ! » d’un auteur statuant sur la culpabilité supposée d’une femme dans un crime célèbre.


  • Mépris de l’autre partie :

« La théorie naïve est remplacée par un piège théorique ». En somme, si Freud se trompe c’est un imbécile et s’il le reconnaît et cherche à corriger son erreur il est machiavélique. Et, bien sûr, pour les plus basses raisons : « notamment obtenir de l’argent ». ça frappe l’imagination morale. On se doute que monsieur Bénesteau ne vend son ouvrage (29 €) que pour la beauté de la cause et reversera ses droits à une association de défense des victimes de la psychanalyse, et peut-être que son éditeur, emporté par le même engagement renoncera à son bénéfice…

Tout le travail de Freud et de ses successeurs est voué sans examen aucun par messieurs Pessiglione et Bénesteau aux poubelles de l’histoire. J’entends, ici, sans trop d’effort de mémoire comme un écho de la voix de Jdanov. Freud : « hyène dactylographe ». Accablant.


  • Absence de preuves :

Cependant, tout ceci est justifié par la « cause » défendue. « Cette recette [la psychanalyse] n’a, au mieux, jamais guéri qui que ce soit, au pire a entraîné une série de suicides. » Le statut probant de cette assertion est tellement manifeste qu’il n’a pas besoin d’être étayé de quelque manière. M. Pessiglione réclame avec condescendance une « validation expérimentale » pour la psychanalyse dont on se dispense ici sans vergogne. Argument péremptoire qui suspend toute possibilité critique.

Témoignages publiés d’analysants, expériences personnelles, sociétés savantes offrant leurs travaux à la publicité et la critique, observation des changements entraînés jusque dans l’hospitalisation psychiatrique — et pas seulement par camisole chimique —, rien de tout cela ne vaut au procès en sorcellerie de la psychanalyse.

Sans doute, dire qu’on a retiré de la psychanalyse quelque bienfait ne saurait être qu’une preuve de plus de son pouvoir aliénant. Manifester son utilité sociale signifie sans aucun doute qu’on exploite ses victimes pour défendre un pré-carré professionnel ou sectaire.


  • « Mission historique » du procureur :

La science — au nom de laquelle Mathias Pessiglione parle, on l’entend bien ! — est pure de toutes les tares plus haut dénoncées et ses méfaits (violences thérapeutiques des internements, lobotomies des années cinquante prescrites sans « sourciller », stérilisation des déficients mentaux, chronicité des addictions aux neuroleptiques distribués larga manu) ne sont que des erreurs qui résultent des meilleures et plus désintéressées intentions. Pour les lendemains qui chantent — la maladie mentale enfin vaincue, le désordre du monde réglé — il aura fallu consentir quelques sacrifices individuels, quelques dégâts collatéraux : c’est la dure loi de Dame Nature.

Comme dans tout système totalitaire, on propose, in fine, à l’ennemi stipendié, vaincu sans avoir pu se  défendre, de faire cause commune avec son persécuteur. Alors on ne fusille pas, on propose le camp de rééducation : « dans ce cas, il conviendra de la placer sur le terrain de la validation expérimentale, quitte à ce qu’elle en sorte sérieusement remaniée. »

La cause est entendue ! On sait déjà qu’on ne prendra pas le risque que cette « validation » soit favorable à la psychanalyse. Son « remaniement », déjà annoncé, prouvera la validité du procès et le refus de se soumettre confirmerait la malignité de l’accusé et la juste rigueur du réquisitoire. On aimerait plus de rigueur intellectuelle chez un tenant de la vertu scientifique.

 

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