Psychopathologie ou misère de la vie quotidienne ?
 
 

Il y a tout juste cent ans, un certain Sigmund Freud publiait Psychopathologie de la vie quotidienne. Depuis on ne peut plus ignorer qu’un acte manqué est un discours réussi. La bévue est un succès, celui d’une certaine vérité qui ne cesse de chercher le frayage de son chemin dans les défilés policés de la bienséance, du bon ordre des choses et des institutions de la civilisation. Freud nous a montré que le désir de l’homme ne rejoint pas son intérêt et que l’objet de ses envies ne réalise pas son vœu.

Un siècle plus tard, on nous promet pourtant que le déni, le mépris de ce savoir là sont les conditions du bon gouvernement des hommes et de leur bonheur. Le discours marchand se déchaîne sans vergogne pour promouvoir la consommation des biens réputée capable d’épuiser le désir, le combler, en nier l’énigme, en réduire la cause aux besoins et le traitement, à la satiété. Les réponses symptomatiques ne manquent pourtant pas, qui viennent laisser entendre qu’il s’agirait tout de même d’autre chose : anorexie, addictions diverses, surendettement…

Les sciences dites humaines (économiques et politiques, notamment) y apportent leurs cautions en feignant d’ignorer la nature et la fonction des savoirs qu’elles produisent. On compte, en effet, d’autant plus qu’on veut ignorer ce que l’on cherche sous le masque d’une scientificité d’emprunt. Les nomenclatures, les protocoles, le management des relations humaines viennent réduire les questions posées par les achoppements singuliers de la vie de “chaque UN”. Un savoir proprement pervers sur ce qui est bon pour l’autre se constitue : « je sais bien ce qui est bon pour toi, j’en connais un bout sur ton désir… ».

Que le sujet résiste et le voilà exclu, stigmatisé comme malade ou inadapté dans le mouvement même où il tente de sauvegarder sa singularité. Sa condition, pour laquelle l’humanitaire l’accable de soins de plus en plus opérants, nie en fait toute hypothèse de projet pour sa vie. La biologie et l’économie qui s’imposent de plus en plus dans la psychiatrie et le médico-social s’accordent pour réduire en “produits” — objets des nouvelles nosographies —  ce qui devrait susciter le questionnement du lien social, du rapport aux autres et, forcément, à l’Autre.

La psychanalyse reste alors, non pas le seul moyen de traiter — pour les anéantir — les difficultés de la civilisation, mais un des seuls, qu’il faut vouloir insistant, de maintenir ouvertes les questions qui dérangent le sommeil de la pensée. Soutenir une béance dans les réponses contre l’inflation des certitudes est une démarche éthique. Cela suppose que celui qui veut s’y attacher puisse trouver les moyens d’être informé, de se laisser interroger, de découvrir des surprises.

C’est à cela, très modestement,  que notre référence à la psychanalyse, sur ce site, prétend contribuer en suscitant curiosité, questions, échanges, débats à partir des informations qui y seront progressivement publiées.
 

Gilles Herlédan
Janvier 2001