Le sujet n'est pas programmable

Ayant perdu l'art et la religion, l'homme moderne des sociétés occidentales s'engage dans un espace dont les coordonnées symboliques ne sont plus aussi écrites. Peut-être se sent-il mû par un désir de science, qui n'est que l'effet d'un Discours de la Science toujours plus productif dans le comblement de l'humain par l'univers des objets et des machines.

Le bonheur de l'homme n'est pourtant pas à attendre de la saturation des besoins, ni de l'intensification des conforts de vie. Beaucoup plus a-t-il à voir avec l'insaturation du désir, ce qui ouvre nécessairement à une dimension éthique. En effet, non seulement il n'y a pas d'objet définitif pouvant combler le désir, mais il est nécessaire, pour des raisons de structure, qu'il en soit ainsi.

La condition humaine est réglée par un certain nombre de déterminants que Freud révèle justement à l'humanité. La condition fondamentale est que l'homme se constitue en son essence comme Désir. Il désire parce qu'il manque, il désire pour être entré dans le monde du langage en tant que celui-ci substitue le mot à la chose, la fait absente et manquante à jamais. Dès lors, les mots se jouent de nous encore plus que nous pouvons jouer avec eux. Il y a cette équivoque de la parole donnée et reprise parce que porteuse de malentendu (1).

Freud découvre que l'homme habite ce malentendu, lequel est bien sûr très bien entendu sur l'Autre Scène, celle de l'inconscient. Cette place d'écart et de manque, d'équivoque, il y va de la condition humaine de la préserver. Elle est le lieu même de la liberté, en tant qu'aucune chaîne de parole ne parvient à faire l'exhaustion du sujet, les mots se renvoyant les uns aux autres dans un jeu permanent. Il importe donc que jamais le dynamisme de la structure symbolique ne soit entravé, et nous savons qu'il l'est malheureusement dès l'instant où le sujet se trouve réifié, seulement défini par un système de codes en rapport avec la race, la religion ou des engagements politiques.

Dans cette perspective, le discours analytique a cette charge de contrebalancer le discours de la science, dont on ne peut que remarquer les effets délétères sur le sujet, au travers de la promotion d'une éthique du désir. Cette éthique, Jacques Lacan la résume en deux maximes essentielles (2): "Ne cède pas sur ton désir !" et, paraphrasant Kant, "Fais en sorte que la maxime de ton action soit que celle-ci ne soit pas programmable !".

C'est en effet à laisser le malentendu subvertir le programme que l'homme maintient son humanité. Seul l'homme du besoin est programmable et transparent.

Plus que jamais, face à l'inexorable montée des planifications et des programmations dans nos sociétés, le recours au discours analytique, comme acte éthique radical inauguré par Freud et Lacan, s'avère incontournable.
 

1- Marc Leclerc, Réflexions sur l’Éthique, revue l'Interdit, n° 9
2- Jacques Lacan, L’Éthique de la psychanalyse, Sém. VII, Le Seuil

A. Cochet

Novembre 2001