Psychanalyse
et société…
La question ne cesse de se poser depuis que la
psychanalyse existe. Au premier degré ce sont les conditions
sociales du déclenchement des troubles " nerveux " comme on
disait dans les années 1900 qui ont introduit du social dans
la psychanalyse. Freud a incriminé à diverses reprises les
excès des exigences de refoulement des sociétés civilisées.
La découverte selon laquelle il y a au sein même de la pulsion
sexuelle quelque défaut qui entraîne son impossible
satisfaction complète, peut tendre à recentrer la cause du
trouble névrotique et plus largement psychique sur la
structure de l'appareil psychique individuel.
Dans le même temps cependant, Freud produisait son mythe du
meurtre primordial du père instituant la communauté des frères
et la loi du partage des femmes, puis il s'est intéressé aux
productions de la civilisation : religion, art. Il a aussi
constaté l'existence du " Malaise dans la civilisation " sans
oublier que son dernier livre, écrit dans les affres de la
maladie cruelle qui l'accablait, les tourments politiques et
l'exil s'appelle : " Moïse et le monothéisme ".
Curieusement - est-ce vraiment si curieux ? - les ouvrages de
psychanalyse appliquée ont été assez souvent tenus pour "
accessoires ", voire superflus, par nombre de psychanalystes
dont notamment les Anglo-Saxons favorables à l'ego psychology,
idéologie notoirement au service de la société libérale où
règne et triomphe le moi fort de l'entrepreneur, idéal-type de
l'homme accompli.
En France, particulièrement, la réception des textes de
psychanalyse appliquée au social et à la culture a été plus
favorable. Sans doute, parce qu'il nous est culturellement
difficile de concevoir la fiction simpliste d'un sujet qui
existerait " en-soi et pour-soi " et se " développerait " de
son propre mouvement. Tout au contraire - suivant des points
de vue parfois antagonistes comme ceux des marxistes et des
freudiens - c'est toujours une sorte de dialectique qui est
perçue au cœur du processus qui nous fait la vie durant " Un
parmi d'autres ".
Ainsi lorsque Lacan indique que la sujet est tenu à l'éthique
du " Bien dire " au regard de la vérité de son désir, se
trouvent articulés les registres des déterminations les plus
singulières et celles des conditions sociales d'une
énonciation.
Le concept lacanien de " discours " introduit dans les années
1970 formalise à partir de l'expérience de la cure ce qui est
en cause lorsque un homme parle à un autre dans un certain
cadre et à partir de places permutantes. Quatre modalités
sociales sont alors mises en évidence selon les places tenues
par un signifiant, un sujet ou un objet mis en position
d'agent, tenant lieu de " maître " pour traiter le réel :
- le
discours du maître où c'est le signifiant-maître qui
institue un ordre
- le
discours de l'hystérique où c'est le sujet désirant qui
interroge l'ordre
- le
discours du psychanalyste où c'est la présence de l'analyste
qui met le sujet au travail
- le
discours de l'université où c'est le savoir qui est en
positon de maître.
Lacan avait limité les permutations possibles des
éléments à quatre. La logique ne s'oppose pas à ce qu'il y an
ait vingt-quatre. Soit six où le signifiant-maître est en
position d'agent, six où c'est le sujet désirant, etc.
Apparaissent alors des discours nouveaux comme celui de la
religion, du sacrifice, de l'enseignant, de l'expert, de
l'influence, du soin ou de la science.
Ces quatre derniers semblent actuellement devenir
hégémoniques. Ils sont en fait, ceux qui déterminent de
manière rigoureuse la manière dont le sujet peut - ou plutôt
tend à ne plus pouvoir - réaliser l'éthique du bien dire dans
la mesure où son désir devient l'objet de traitements qui le
ravalent en " besoin " si ce n'est en " défaut ", handicap et
que son expression est un facteur de désordre social.
Ces quatre " nouveaux discours " sont l'armature idéologique
nécessaire à l'expansion totalitaire du néo-libéralisme qui
trouve en eux les moyens de dissimuler sous les aspects
vertueux de la scientificité, de l'aide, de l'expertise et du
soin, ses processus de domination les plus rudes encore que
parfois les moins apparents.
Ainsi, la psychanalyse nous fournit-elle, en quelque sorte de
surcroît, les moyens de décrire les liens sociaux d'une
manière assez rigoureuse pour que s'écrive une dramatique "
psychopathologie de la vie quotidienne " : celle de la vie des
hommes de plus en plus exposés au déchaînement de la
jouissance contre la parole.
Le dédain des processus démocratiques élémentaires – les
gouvernements vont sans doute trafiquer les traités européens
sans consulter mêmes les parlements –, l'horreur de possibles
référendums sur les plans d'austérité sont quelques uns des
signes de cette humiliation de la parole dont le
néo-libéralisme est le nom.
G.
Herlédan
Nous publions sur ce site un texte inédit
qui explicite l'analyse que nous avons
brièvement exposée dans ces quelques lignes. Ce que nous
annonçons comme analyse possible des flexions actuelles du
lien social et leur pouvoir destructeur doit y trouver sa
justification théorique.
Nous n'entendons pas faire de morale ou de philosophie, mais
constituer les conditions d'une sorte de clinique des liens
sociaux dont nous souhaitons mettre les instruments à la
disposition des lecteurs curieux et informés.