Hégémonie psychanalytique ?
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Voilà bien des mois que nous n'avons pas consacré de temps aux soins que nécessite notre site. Sans doute, divers investissements de notre désir dans d'autres formes d'écriture, de recherche ou de travail, nous ont-ils distraits de cette tâche. Toutefois, la fidélité des consultations quotidiennes, nous engage à relancer l'animation de cette source informative qui, quelque modeste qu'elle soit, propose une approche de la psychanalyse en des termes où nous osons penser qu'elle n'est pas trahie.

Ainsi, allons-nous nous efforcer de corriger des erreurs - des plus triviales de l'orthographe, jusqu'aux plus problématiques dans la formulation de certaines notions - et de donner progressivement à lire quelques nouveaux chapitres.

Les éditoriaux vont aussi se faire moins rares ! Ainsi, à propos de cette supposée...

 

Hégémonie psychanalytique


Puisqu'il nous arrive de commettre des éditoriaux, il nous faut sans doute répondre à une question souvent posée : de quoi la psychanalyse (se) permet-elle de parler, n'est-elle pas sujette à un penchant hégémonique qui consisterait à avoir un avis - ou pire, une explication - sur tout (1) ?

De fait, comme le disait Lacan on assiste à une " poubellication " des concepts analytiques. Médecine, éducation, politique, management d'entreprise, abondent de références empruntées avec plus ou moins de discernement et de fidélité au vocabulaire de la psychanalyse. L'effet de mode persiste même si, peut-on penser, de la découverte de l'inconscient la plupart de ceux qui bavardent à son sujet ne veulent plus rien entendre.

Mais du coté des psychanalystes eux-mêmes, n'y aurait-il pas une tendance à " défendre " la psychanalyse avec tant d'ardeur qu'ils la convoqueraient à toute occasion, participant de la sorte au même bruissement confus ?

La psychanalyse n'a pas d'autre champ que " celui de la parole et du langage "(2), dût-elle y repérer la subversion que l'inconscient introduit au regard du sens commun et du bien entendu. En ce sens, tout fait de culture peut être interrogé par la psychanalyse. Entendons cependant que cette assertion suppose quelques limites. Prenons un exemple.

Une découverte scientifique — celle d'une propriété de la matière : spin, charge, masse d'une particule… — permet de formuler des lois en termes mathématiques. C'est un champ où le psychanalyste n'a a priori aucune connaissance particulière, ni les moyens de réaliser les expériences prédites par la théorie. Cependant, il lui est possible de s'intéresser à deux ordres de questionnement à ce propos.

   1) de quelle manière l'objet nouvellement découvert fait-il son chemin dans les réprésentations conscientes et inconscientes en termes d'effet de surprise, voire de "choc" ? On sait, à cet égard, combien les théories de Copernic, Newton ou Darwin ont bouleversé la perception que l'Homme peut avoir de lui-même en touchant à son imaginaire. De même, le signifiant relatif introduit par la théorie d'Einstein a fait florès dans le grand public dans un moment historique de grande incertitude.

   2) quelle est la nature de l'activité scientifique elle-même ? Pour une part, le psychanalyste a légitimité à interroger ce qui permet la découverte scientifique, notamment du point de vue du désir de savoir et des conditions qui permettent au chercheur de ne pas céder sur ce désir. Contrairement à l'idéologie positiviste, nous tenons en effet pour vrai que rien ne répugne tant à l'Homme que de découvrir du nouveau, en même temps que c'est pour lui objet de fascination supposée lui apporter une jouissance vécue comme toujours en souffrance. Il faut donc que le sujet savant à l'origine de la découverte soit, structurellement, en capacité de dépasser ce barrage. Aussi bien constate-t-on que les découvertes essentielles résultent toujours d'une expérience de pensée singulière, d'un agencement de signifiants inouï. Peut-être est-ce pourquoi, à mesure que progresse l'empire des protocoles techniques - anonymes, standards et reproductibles - il semble que les découvertes se raréfient sous l'effet de ce formatage. Tout se passe comme si le discours de la science venait empêcher le travail scientifique lui-même

D'autre part, la psychanalyse peut - doit - interroger ce qu'il advient du sujet lorsque ce discours de la science envahit tellement la culture que tout apparaît calculable, prédictible et reproductible. Si une hégémonie apparaît aujourd'hui, c'est bien celle de ce discours appliqué au champ de la culture, de la subjectivité. Le sujet de l'inconscient y est forclos, ce qui détermine son retour sous forme de symptôme. Or, plutôt que d'accueillir le symptôme pour ce qu'il vaut de vérité, le discours de la science en fait un objet de savoir. La surenchère symptomatique est à la mesure de la prétention de ce savoir à la réduire.

Dans une telle situation - crise sociale ou de civilisation, dit-on - l'exigence éthique de la psychanalyse est d'énoncer ce qu'elle comprend des effets de l'inconscient dans le malaise dans la civilisation. Il lui échoit de maintenir ouverte une question, celle que pose l'existence d'un sujet de l'inconscient. Pure négativité qui ne se comble ni des objets de la consommation, ni du savoir des maîtres, ni du pharmakon des thaumaturges.

Ainsi la psychanalyse n'a-t-elle pas à indiquer des préceptes de bonne gouvernance, enseigner quelque art de vivre ou délivrer une hygiène personnelle ou sociale. Il lui revient seulement de signaler que quelles que soient les options retenues dans les sphères privées ou publiques, il y aura du désir et du réel qui insisteront. Mais selon ce qui sera choisi, les conséquences seront différentes. Ce qui est une certitude et une responsabilité.

À l'aune de quoi, ceux qui gouvernent, enseignent et soignent peuvent mesurer l'ampleur de leurs tâches, comme aussi se saisir de nouveaux critères pour en juger l'éthique, les ressorts et les résultats.


G. Herlédan

 

(1) elle qui, cependant, met en avant l'idée d'un "pas-tout" conceptualisable.
(2) J. Lacan, Fonction de la parole et du langage, Écrits, Seuil.

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